L’association Relève PME organise une courte formation sur la transmission d’entreprise, avec un double cursus: l’un pour les cédants, l’autre pour les acheteurs. Didier Muller, responsable PME BCV pour la région Riviera, anime l’atelier consacré au financement d’une reprise. L’occasion de mettre l’accent sur les aspects les plus importants et de distiller des conseils concrets. Morceaux choisis.
«Price is what you pay, value is was you get». En citant Warren Buffet, Didier Muller plonge aussitôt dans le contexte la petite dizaine de participants rassemblés un soir de novembre au Centre Patronal à Paudex pour l’atelier «Financement». Il ne va pas se contenter de théorie mais ponctuer son intervention d’exemples issus de son expérience. «Evaluer la valeur de l’entreprise que vous souhaitez acheter est clé et nous allons passer en revue les méthodes. Mais souvenez-vous que vous pourrez être confrontés à d’autres acquéreurs qui ont des attentes et des intérêts différents. Un prix plus élevé peut par exemple être proposé par un concurrent de l’entreprise qui tirera des gains de productivité de ce rapprochement.» Une question fuse: «Vous nous dites que le prix peut varier. Pourtant, dans le cadre d’une SA non-cotée, la valeur du capital-action au bilan est la référence pour le prix de l’entreprise?». Non, répond Didier Muller qui rappelle que la valeur comptable ou de marché peuvent être différentes de la valeur réelle. Et se retrouve aussitôt questionné à nouveau: «On peut donc fixer le prix que l’on souhaite, sans limites légales?» Si c’est bien le cas dans la majorité des cas, il rappelle néanmoins qu’il est censé de recourir à une méthodologie pour évaluer le prix. En commençant par étudier le secteur d’activité avant d’analyser l’entreprise elle-même. «Le marché est-il prometteur, ou va-t-il devoir faire face à l’arrivée de produits ou technologies de substitution? Repose-t-il sur un nombre de clients suffisants ou est-il dépendant d’un ou deux grands groupes?» Les réponses doivent être apportées avant de passer aux méthodes de valorisation.
Sur ce sujet, Didier Muller étonne à nouveau les participants en leur expliquant qu’il n’existe pas une seule méthode de valorisation mais plusieurs. Il commence en expliquant celles qui reposent sur «la valeur de substance», qui consiste à évaluer la société sur la base de son bilan, soit ses actifs et passifs. Et de décortiquer ce qui constitue ce «patrimoine»: les fonds propres bien sûr, mais aussi les actifs et les passifs qu’il faut réévaluer, «car la valeur comptable ne reflète pas toujours la valeur réelle». Il insiste donc sur l’importance de mettre en évidence ces «réserves latentes, qui font généralement augmenter la valeur.»
D’autres méthodes reposent, elles, non pas sur le bilan mais sur le compte de résultat. On dit dans ce cas qu’elles sont basées sur les rendements. «Si l’on fait une analogie avec une personne, on peut dire que les méthodes basées sur la valeur de substance décortiquent sa fortune, alors que celles basées sur le rendement étudient son revenu», simplifie Didier Muller. «Si une société a des actifs mais fait des pertes, alors elle vaut zéro selon cette méthode». Celle-ci vise à déterminer la capacité à générer de façon durable des bénéfices à l’avenir. Un exercice difficile pour lequel Didier Muller donne des pistes : « on peut faire des corrections sur les produits ou les charges, par exemple envisager de renégocier les contrats. Je rencontre fréquemment des repreneurs qui se contentent d’un salaire plus bas que celui du patron précédent.» Si les formules mathématiques rassurent sur la rigueur de l’exercice, les participants devront toujours avoir en mémoire ce qu’ils veulent faire de l’entreprise: «deux repreneurs n’arrivent pas à la même valeur car ils ont une vision différente du futur. Cette méthode a le mérite de vous faire réaliser jusqu’à quel prix vous voulez aller. Il existe encore une autre technique, qui repose sur les cash flows actualisés. Elle va plus loin que la valeur de rendement car elle ne se base pas que sur le bénéfice et recherche le flux de liquidités généré par la société.» Une participante interroge: «Quelle est la meilleure approche?» Il faut en appliquer plusieurs, selon l’expert bancaire, qui rappelle que l’appui d’une fiduciaire est en général nécessaire.
La deuxième partie de l’atelier est consacré au financement de la reprise et à la préparation de son dossier quand on sollicite un crédit. «C’est fondamental pour Didier Muller: le crédit est un acte de confiance, j’ai beaucoup de peine à me positionner sur un dossier sans rencontrer les demandeurs et comprendre leur vision pour dégager des bénéfices à l’avenir et rembourser le crédit. Selon mon expérience, le facteur clé de succès est avant tout les capacités de conduite, de management de l’acheteur.» Cette appréciation qualitative s’accompagne d’une analyse financière de la structure du bilan, de la profitabilité et de la trésorerie. Les informations nécessaires à rassembler pour motiver sa demande sont passées en revue et commentées. Le business plan est indispensable, tout comme les due diligences qui permettent de mettre en lumière les éléments qui peuvent influencer le prix. Et de citer l’exemple d’un repreneur qui a eu la mauvaise surprise de devoir réhabiliter un bâtiment qui n’était plus aux normes… L’un des participants, qui veut racheter une menuiserie, se demande si le banquier prend en compte le niveau de qualification du personnel. C’est l’un des aspects qui sera contrôlé, répond Didier Muller qui pointe l’importance d’identifier les personnes clés pour l’entreprise et de s’assurer de leur fidélité. Toutes ces due diligences ont certes un coût, à ajouter au prix d’achat, mais le banquier conseille de ne pas trop économiser sur ce poste.
Puis il en vient aux différents types de rachat et aux sources du financement: les fonds propres du repreneur, complétés éventuellement d’un crédit bancaire, ne sont pas les seules solutions. Il est par exemple fréquent de solliciter le vendeur pour ne payer qu’une partie du prix lors de l’achat et le solde plus tard (crédit vendeur). Il est aussi possible de solliciter l’aide de Cautionnement romand, organisme qui peut se porter caution jusqu’à hauteur de 500 000 francs pour compléter les fonds propres. Utile quand on sait que la BCV, par exemple, demande un minimum de 20% de fonds propres pour entrer en matière sur un financement.
Quelque que soit la source du crédit, il est important de bien calculer les charges à venir pour savoir si elles sont tenables, sans oublier l’aspect fiscal. Si le repreneur rachète directement la société, il s’endette à titre privé. Son salaire sera imposé au titre du revenu. Mais il peut aussi créer une autre société, dite holding, dont il détient le capital et qui rachète l’entreprise. Les dividendes encaissés par la holding seront alors généralement exempts de taxes.
Corinne Baffou, rédactrice BCV
Organisée en collaboration avec le Centre patronal, cette formation est composée de quatre ateliers animés par des spécialistes. Qu’on souhaite céder ou reprendre une entreprise, on y trouvera des conseils adaptés pour organiser sa réflexion et les démarches à mener sur les aspects juridiques, fiscaux, financiers et opérationnels. Pour Didier Muller, «c’est avant tout dirigé vers les petites PME qui n’ont pas accès à toutes les expertises mais qui constituent pourtant le tissu principal de notre canton. J’essaie d’avoir un discours accessible à tous». Une mise à niveau appréciée par les participants, comme cet ancien directeur d’hôpital, à qui la formation a rappelé certains aspects à prendre en compte, notamment en matière de fiscalité. Ou comme cet artisan qui «ne savait pas par où commencer». Informations sur www.relevepme.ch/ (Les dates des ateliers 2018 seront mises en ligne prochainement.)