David Lizzola, directeur général de Léguriviera Groupe raconte: "une fois que les prêts aux entreprises ont été mis en place, l’argent s’est remis à circuler. Aujourd’hui, nous constatons que ce n’est pas le pire des scénarios imaginés qui s’applique".
Pour Léguriviera Groupe, acteur romand de premier plan dans le commerce de fruits et légumes, la pandémie a entraîné des pertes importantes. Pour les limiter, il a fallu réduire l’activité et constituer un plan de trésorerie sur mesure. Entretien avec David Lizzola, directeur général et fondateur du groupe.
En quelques jours, entre le 13 et le 16 mars 2020, les établissements de la restauration et de l’hôtellerie qui représentent l’essentiel de notre activité ont cessé leurs commandes. Nous nous sommes donc retrouvés du jour au lendemain avec 70% de chiffre d’affaires en moins, un stock important, et des créances de CHF 6 à 7 millions ouvertes chez nos débiteurs. Sur ce montant, en une semaine, seuls 80 000 francs ont été payés.
Appeler mes banques pour leur expliquer l’ampleur de la situation, le manque de visibilité, et leur dire que des pertes sur débiteurs étaient à prévoir. Elles étaient bien sûr conscientes de la situation et en contact avec les services du Canton et de la Confédération. Elles ont eu l’intelligence de travailler de concert. Je me souviendrai toujours que mon conseiller BCV m’a dit: «concentre-toi sur l’opérationnel, on est là pour t’accompagner, on va tout faire pour t’aider à passer ce cap». Psychologiquement, comme entrepreneur, quand on a pris une série de risques pendant plus de vingt ans et qu’on se retrouve soudainement endetté malgré soi, s’entendre dire cela apporte un immense soulagement, on se sent soutenu.
Il a fallu tout redimensionner. Parmi nos différentes plateformes, nous avons dû fermer celle de Genève et tout concentrer sur Lausanne, cette dernière étant plus centrale du point de vue logistique pour la Suisse romande. Il a fallu ensuite rapidement réduire les horaires de travail des employés: sur 200, seuls 70 ont pu poursuivre leur activité, sélectionnés en fonction des contraintes et des risques sanitaires acceptables pour chacun. Puis, nous nous sommes concentrés sur des clients de première nécessité: hôpitaux, cliniques, EMS, armée, protection civile, etc. Et enfin, nous avons été contraints de réduire nos charges structurelles, près d’un million de francs par mois (loyer, location de véhicules, etc.). Cependant, certaines demeurent incompressibles.
Avec l’aide de la BCV, nous avons sollicité les prêts transitoires mis en place par la Confédération, au maximum des montants qu’il était possible de demander. Cette aide étant proportionnée au chiffre d’affaires, elle a représenté CHF 6,5 millions au total pour toutes les activités du groupe. Ensuite, il a fallu établir un plan de trésorerie… sans visibilité! Nous en avons donc réalisé deux: worst case et best case. Une fois que les prêts aux entreprises ont été mis en place, soit une semaine, l’argent s’est remis à circuler. Et nous avons aussi demandé à nos clients de nous payer dès que possible. Aujourd’hui, nous constatons que ce n’est pas le pire des scénarios qui s’applique.
Oui, il a même fallu se réinventer. Nous avons développé une série d’offres pour les particuliers: la commande de paniers de fruits et de légumes, par exemple. Nous avons initié des partenariats avec certains de nos clients qui ont proposé nos Léguboxes à la vente. Et dans nos trois boutiques, nous avons conçu des produits diététiques et à l’emporter: jus frais au gingembre, poke bowls, etc. Notre chiffre d’affaires y a été au moins six fois supérieur à d’habitude. Peu connu, notre service de livraison aux particuliers a lui été multiplié par dix. Nous avons même accompagné certains clients à se familiariser avec TWINT! À Vevey, nous nous sommes alliés avec d’autres commerçants pour développer l’offre en ligne My local store.
De loin pas. Cela ne représente même pas 10% de notre chiffre d’affaires habituel. Néanmoins, il y a eu un retour en termes de visibilité et de sympathie. Il a fallu déterminer, en fonction des charges incompressibles, quel chiffre d’affaires et quelle marge réaliser pour rentrer dans nos frais. Or, aujourd’hui, ce chiffre d’affaires reste insuffisant, compte tenu des coûts fixes. Et notre marge brute a diminué, car nous avons notamment davantage de clients institutionnels. Sans compter la marchandise perdue, et certains de nos clients qui n’ont pas pu nous payer, ayant été contraints de fermer leurs établissements en raison des mesures édictées par la Confédération. D’où notre réelle perte d’exploitation. Il y aura donc des pertes sèches, c’est sûr et certain. Nous pourrons en assumer une partie. Mais pour tout ce qui est dû à la réduction de notre activité, nous comptons constituer un dossier et nous tourner vers la Confédération, afin de solliciter un soutien, sous forme d’abattements par exemple, ou à fonds perdu pour une partie des prêts qui nous ont été octroyés.
À chaque restaurant qui rouvrira, il nous appartiendra de nous adapter et de réintégrer du personnel, et ainsi de suite, au fur et à mesure du déconfinement. Nous demandons aussi à nos fournisseurs de limiter leur production, étant donné qu’ils cultivent parfois plusieurs mois à l’avance ce qu’ils vendent. Et dans l’hôtellerie de luxe, l’un des secteurs avec qui nous travaillons de manière privilégiée, beaucoup d’établissements ne prévoient pas d’activité pour cet été. Nous n’envisageons donc pas de retour à la normale avant plusieurs mois.
Notre entreprise s’est adaptée aux circonstances conjoncturelles et a ouvert ses services aux particuliers, jusqu’à présent destinés aux professionnels. Nous avons ainsi augmenté notre communication digitale, développé divers canaux numériques et accentué notre présence sur les réseaux sociaux. Une fois la crise aplanie, il s’agira probablement de conserver notre antenne pour les privés, mais sous l’égide de nos boutiques.
Propos recueillis par Camille Andres, rédactrice pour la BCV
Léguriviera Groupe est une société active dans le commerce des fruits et légumes en Suisse romande, notamment sur le marché des primeurs en gros. Fondée en janvier 2001 à Villeneuve par David Lizzola, elle emploie aujourd’hui 250 collaborateurs, compte 2500 clients, pour un chiffre d’affaires de plus de 65 millions de francs. Léguriviera Groupe possède des infrastructures à Vevey, Villars-Ste-Croix, Bulle, Genève ainsi qu’un laboratoire de produits prêts à l’emploi situé à Aclens. Elle compte plusieurs épiceries fines (Ratatouille à Vevey, Rumo à Bulle, Minestrone à Montreux) ainsi qu’un site de vente en ligne destiné aux professionnels et aux particuliers. Le groupe propose des livraisons sur la région genevoise, lausannoise, Morges et la Riviera vaudoise.