Lors de la manifestation les Pros de l'Immobilier, les intervenants ont souligné la nécessité d'accélérer le rythme de rénovation. De gauche à droite. Andreas Diemant, David Michaud, Sébastien Roduit (BCV), Dr Olivier Ouzilou (Signa-Terre) et Julian Reymond (Realstone).

Entreprises 8 juin 2023

Immobilier: le taux de rénovation doit passer de 1% à 4% par an

L’objectif zéro émission en 2050 semble difficile à atteindre, pour le bâti, dans les conditions actuelles. Si la question du financement figure en bonne place des défis à relever, elle n’est, de loin, pas la seule. Il manque de bras, d’harmonisation normative, de soutien, ont relevé les intervenants à la manifestation les Pros de l’Immobilier, organisée par la BCV.

«Le taux annuel de rénovation dans le bâti en Suisse est actuellement inférieur à 1%. Pour parvenir aux objectifs de décarbonation et de consommation énergétique fixés par la Confédération, il faudrait qu’il passe à 2,5% d’ici 2030, puis à 4% d’ici à 2050». À l’instar de l’expert et directeur commercial de Signa-Terre, Dr Olivier Ouzilou, les différents intervenants de la manifestation les Pros de l’Immobilier, organisée par la BCV, insistent sur la nécessité d’accélérer le processus de mise en conformité du parc immobilier suisse. Il est vrai que le secteur pèse pour plus d’un quart du bilan CO2 de la Suisse et consomme près de la moitié de l’énergie primaire, son rôle est donc clé pour que le pays puisse tenir ses engagements de zéro émission nette de CO2 et de société à 2000 watts sans nucléaire d’ici à 2050.

Agir tout de suite

Alors oui, l’immobilier doit compter «avec de nouveaux paradigmes, comme la hausse des taux d’intérêt et la fin d’un super cycle», rappelle Andreas Diemant, directeur général de la division Entreprises à la BCV. Il doit aussi affronter nombre d’obstacles, comme la pénurie de main-d’œuvre, la hausse des coûts de construction ou un environnement peu incitatif, poursuit Sébastien Roduit, responsable du département Immobilier à la BCV. Il n’empêche, insiste-t-il, «attendre revient à s’exposer à davantage de risques». Dr Olivier Ouzilou abonde dans le même sens: «mieux vaut se donner un coup de pied soi-même que d’en recevoir un de manière inattendue». Être proactif, ajoute Julian Reymond, CEO de Realstone, «permet de ne pas se faire imposer des travaux au gré de l’évolution de la taxonomie ou de la hausse des normes, permet donc de mieux maîtriser son calendrier, son financement et donc son rendement».

«Être proactif permet de mieux maîtriser son calendrier»

Ainsi, les propriétaires doivent savoir où ils se situent, résume Sébastien Roduit, pour mieux saisir le chemin qui leur reste à parcourir d’ici à 2050 afin de planifier et monitorer ce qui doit être entrepris.

>Pour atteindre les objectifs 2030 de la Confédération, les immeubles devraient tous rentrer dans le rectangle jaune, a expliqué lors de la conférence, Dr. Olivier Ouzilou de Signa-Terre.

Besoin d’harmonisation des mesures

Monitorer oui, mais comment? Car, souligne Dr Olivier Ouzilou, «tout le monde ne se pèse pas avec la même balance». La réalité chiffrée peut ainsi varier du simple au double selon la méthodologie choisie (voir encadré ci-dessous). Alors, pour évaluer la situation et son évolution, «nous avons besoin d’harmonisation dans les standards, dans les protocoles de mesure de la consommation et des émissions afin d’assurer la qualité et la complétude des données». Des éclaircies se font peu à peu jour. «Dès cet automne, les normes choisies dans le cadre de l’autoréglementation de l’AMAS (ndlr: Asset Management Association Switzerland) feront référence». Et d’espérer que l’autorité des marchés financiers, la FINMA, suive en 2024 ou 2025. Un pas pour Julian Reymond qui relève cependant d’autres manquements encore criants dans les bases de calcul, dont la non-prise en compte de l’énergie grise ou encore la mesure différentiée des surfaces de référence.

 

Jungle de mesures

Exemple du calcul des émissions de CO2 pour un portefeuille de 100 immeubles

  • Mesuré selon les normes SIA 2031/AMAS: 22,3 kg/m2/an
  • Théorique selon les certificats CECB ou PACTA: 12,1 kg/m2/an
  • Écart: environ 45%

Raison: différents périmètres pris en compte. Scope 1: émissions directes liées au système de chauffage d’un immeuble. Scope 2: émissions indirectes liées à la production d’électricité ou du système de chauffage à distance. Scope 3: toutes les autres émissions, dont l’énergie grise liée à la construction ou la rénovation d’un immeuble.

 

Émissions résiduelles à compenser

En attendant, Dr Olivier Ouzilou rappelle que, d’ici 2050, le bâti doit diviser par deux l’énergie qu’il utilise et diminuer son impact CO2 de 83%. Cela dit, zéro émission est un vœu pieux. Il considère que le bâti devra compenser 0,4 million de tonnes de CO2 résiduelles dès 2050. Julian Reymond arrive peu ou prou à la même conclusion. Le parc immobilier du spécialiste des placements immobiliers collectifs dépassera son objectif 2030 de 20 kg/m2/an, mais stagnera autour de 15 kg/m2/an. Essentiellement pour des questions structurelles et réglementaires.

-83% de CO2 d’ici 2050

Principe du Negawatt

Par où commencer? Dr Olivier Ouzilou préconise une approche systématique de la décarbonation basée prioritairement sur le principe du Negawatt, soit l’énergie que l’on ne consomme pas. Il s’agit de diminuer ses besoins, en isolant son bâtiment par exemple. Puis d’améliorer l’efficacité de ses prestations, avec, autre exemple, des systèmes de chauffage performants. Quant aux watts/heure utilisés, il suggère de privilégier les énergies renouvelables locales à l’instar des panneaux photovoltaïques et de couvrir le solde avec de l’énergie verte certifiée apportée au pied des bâtiments, à l’instar du chauffage à distance.

Priorité aux optimisations

Une fois le bilan de la situation fait, les propriétaires devraient établir une feuille de route avec des objectifs annuels de réduction et la priorisation des projets pour les 5, puis 10 ans à venir. «Chez Realstone, la planification des investissements pour les 30 prochaines années sur plus de 200 immeubles a nécessité plus d’une année de travail d’une task force de cinq personnes», témoigne Julian Reymond.

Pour Dr Olivier Ouzilou, il s’agit d’identifier dans un premier temps ce qu’il appelle le «Quick Win», les optimisations des systèmes ou leur changement. Vient ensuite une planification des travaux de rénovation en tenant compte des flux financiers à disposition, des données techniques, des synergies possibles, des objectifs à atteindre, etc. Le spécialiste en est conscient: c’est un «grand Tetris».

Fédérer les parties prenantes

Le CEO de Realstone parle, lui, de casse-tête chinois. Dans cette équation complexe, l’inconnue n’est pas tant l’équilibre à trouver entre les paramètres économiques, environnementaux, sociaux ou de gouvernance, mais bien «de fédérer toutes les parties prenantes autour de cet objectif qu’est la décarbonation du parc immobilier». Et de bien comprendre et de décrire les tensions entre les intérêts des locataires, des investisseurs, des prestataires de services, du climat, de la société civile. Des univers qui, au final, doivent tous trouver leur intérêt dans cette démarche.

«Toute rénovation doit faire sens économiquement»

Afin d’avancer vers ses objectifs, Realstone réévalue ses priorités et ses actions en s’appuyant sur une analyse des risques environnementaux, sociaux, économiques et de gouvernance mise à jour une fois l’an. Realstone ne parle ainsi pas d’approche ESG, mais d’approche EESG. Le E supplémentaire portant sur l’économie. Conséquence: le groupe a identifié les enjeux suivants pour les années à venir: gestion de l’énergie grise, mobilité, gestion des déchets, eau et bien-être des collaborateurs. Alors qu’en 2022, le propriétaire est parvenu, par exemple, à régler plus finement les chaufferies dans 62% de son parc (+10%), à réduire de 13% ses émissions de CO2 désormais à 23,4 kg/m2/an (but: 20 kg/m2/an en 2031) ou a vu la note de ses prestations aux locataires demeurer à 6,53/10 (objectif 7). Côté chauffage, il lui reste «27 ans pour remplacer les systèmes de chauffage à énergie fossile qui représentent encore 59,1% de notre parc, alors qu’au rythme actuel de rénovation en Suisse, il faudrait 59 ans».

Sens économique

La gestion de cette décarbonation comprend des défis au quotidien – lorsqu’il s’agit de relever les compteurs à la main ou de sensibiliser les locataires – et à plus longue échéance – lorsqu’il s’agit de trouver des solutions de rénovation pour les immeubles classés du centre-ville. Sans oublier le financement et son rendement. «Toute rénovation doit faire sens économiquement», insiste l’ensemble des intervenants en relevant la problématique du retour sur investissement pour les propriétaires.

Un marché à 32 milliards

Rénover 1,8 million de bâtiments d’habitation d’ici 2050 devrait faire passer les dépenses de CHF 8 milliards à CHF 32 milliards par an, selon les estimations de Signa-Terre. Dr Olivier Ouzilou poursuit en soulignant que cela signifie aussi que les différentes subventions devraient se monter non plus à CHF 450 millions annuels, mais à CHF 3,2 milliards par an. «Il s’agit également d’innover dans les modes de financement, notamment de la part des banques ou en matière de fiscalité».

Manque de bras

Les ressources nécessaires ne sont pas que financières. Sont également évoqués les goulets d’étranglement dans l’accès aux matériaux, voire aux technologies. Sans oublier la pénurie de main-d’œuvre. «Ce ne sont pas 120 000, mais 300 000 personnes qui devraient travailler dans les secteurs de la construction et de la rénovation», poursuit Dr Olivier Ouzilou. Et d’inciter les acteurs à «marketer les professions de la transition énergétique auprès des jeunes».

Ces embouteillages sont autant de risques sur les délais impartis, sur les coûts finaux, sur la perception et donc sur l’adhésion de la population à cette indispensable transition énergétique. La durabilité reste, pour Julian Reymond, «un sujet neuf». À tous d’apprendre au fil de l’eau, de s’adapter en continu. «Pour l’industrie immobilière, l’impact peut se mesurer sur le plan de l’image, mais aussi de la valeur, et plus précisément sur la valeur dite verte du bâtiment, soit celle tenant compte des risques liés à la transition énergétique», conclut Dr Oliver Ouzilou en répétant qu’il faut accélérer le mouvement.