«J’ai aussi vu l’arrivée des femmes dans la branche et j’ai pu mesurer ce qu’apporte la diversité. La diversité en général, pas uniquement des sexes.»

DANS LE CANTON 26 mai 2021
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Paru dans 24heures: "Une femme de chiffres prendra la tête de la BCV"

La banque que les Vaudois connaissent le mieux, ne serait-ce que pour l’avoir renflouée en 2003, a été présidée par des Olivier, Jacques et autre Gilbert. Des prénoms masculins aussi exotiques qu’un cep de chasselas sur nos coteaux. Mais la BCV, du haut de ses 175 ans, évolue. Dès le 1er janvier 2022, son conseil d’administration sera présidé par une Eftychia. Un prénom féminin et grec.

Signe des temps, le Conseil d’État vaudois a nommé une femme avec un CV long comme le bras dans le secteur bancaire pour succéder à Jacques de Watteville qui a rejoint la BCV après une carrière de diplomate. Philippe Hebeisen, qui la côtoie au conseil administration de la Vaudoise Assurance, a été sollicité pour donner son avis lors de la sélection. «Il y avait pas mal d’appétit pour ce poste, se rappelle-t-il. Eftychia Fischer était clairement la meilleure candidate. Elle allie des compétences techniques indiscutables et des compétences sociales.» Elle est aussi à l’aise avec un CEO qu’avec un employé. Voire avec un journaliste.

Cette femme, qui s’exprime dans un français sans accent, a vu le jour à Athènes, il y a 57 ans. En 1968, son père, qui travaille pour une compagnie maritime, est transféré à Londres. Toute la famille suit. La jeune Eftychia débarque dans l’Ouest londonien à l’âge de 6 ans. Inscrite dans un lycée français, elle ne parle pas un mot d’anglais avant d’entrer à l’internat à 10 ans. Elle vit son adolescence dans le Londres électrique de la fin des années 1970, avec l’explosion du punk et l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir. De cette époque, elle se rappelle des grèves et des coupures d’électricité: «À l’école on nous avait donné des ardoises parce qu’il n’y avait plus de papier.» Elle se souvient aussi de l’ouverture du Barbican Center «où l’on pouvait voir les stars de l’opéra pour 50 pences».

La passion des maths

Dans l’Angleterre encore très conservatrice des années huitante, elle marque sa différence en choisissant des études de «garçon». Elle opte pour la physique. «À la base, je voulais étudier les mathématiques mais mes parents estimaient qu’il n’y avait pas de débouchés. D’ailleurs, mon père ne voyait pas l’intérêt que je fasse des études tout court. Mais ma mère m’a soutenue. Finalement, la physique a été un compromis, on pouvait trouver du travail comme ingénieur.» Malgré tout, elle ne lâchera pas sa première idée. Près de quarante ans plus tard, elle finit un master en mathématiques, comme «hobby». Elle s’en amuse: «Que voulez-vous, je suis une femme de chiffres.» À l’Imperial College de Londres, elles ne sont que trois filles en physique. «À la fin du cursus, j’étais la seule.» Un préambule à une carrière dans la banque, où les femmes sont très rares aux postes dirigeants. «Évoluer dans un monde masculin ne m’a jamais gênée. J’ai aussi vu l’arrivée des femmes dans la branche et j’ai pu mesurer ce qu’apporte la diversité. La diversité en général, pas uniquement des sexes.»

Pour son premier job, Eftychia Fischer se rend à un jet de pierre du Ministère de la défense, à Whitehall. Elle travaille pour le «think tank» spécialisé dans la défense et la sécurité Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (RUSI). Mais la jeune femme a d’autres desseins. Elle veut faire un doctorat en physique que le salaire annuel de 6500 £ du RUSI ne lui permet pas de financer. «À l’époque, en Angleterre, le salaire était indiqué dans les offres d’emploi. J’ai donc acheté le «Financial Times» et j’ai regardé ce qui payait le mieux. Il y avait actuaire, mais c’est sept ans d’étude, et la banque d’investissement. J’ai donc répondu à une annonce en leur disant que je ne connaissais rien à la branche, mais que je voulais les 17 500 £ qu’ils proposaient. Ma lettre a dû les intriguer…» Son diplôme de physique a évidemment aussi joué un rôle et c’est ainsi qu’elle met un premier pied dans le secteur bancaire, à la Société Générale Strauss Turnbull de Londres.

Les beaux yeux du stagiaire

C’est là qu’elle croise un stagiaire, un Suisse avec «de beaux yeux bleus». Un certain Fischer. Ni une ni deux, le jeune couple quitte la capitale anglaise pour s’installer en Suisse et se marier. Ils ont 23 ans. «Je ne parlais pas un mot d’allemand quand je suis arrivée en Argovie », se souvient-elle. La jeune épouse trouve du boulot à UBS, à Zurich, dans un département en relation avec la Grande-Bretagne. S’ensuivra «une carrière haut de gamme dans la banque et la finance», comme la décrit Philippe Hebeisen. Durant plus de trente ans, elle enchaîne les postes à responsabilité dans les grands établissements bancaires privés, mais aussi dans une start-up spécialisée dans la technique financière et même à son compte. «J’ai créé ma propre entreprise en 2008, juste avant la crise des subprimes. Un timing d’enfer!»

Après la chute du mur de Berlin, son mari est envoyé en Pologne, puis en République tchèque pour son travail. Le couple vit alors à cheval sur deux pays. La grisaille zurichoise des années nonante lui pèse. Elle part s’installer dans la Ville Lumière. «J’ai dit à mon mari que prendre un avion pour Zurich ou pour Paris afin de se voir le week-end, c’était la même chose.» Là-bas, elle travaille pour la banque Lazard. Mais au bout de deux ans, elle est rappelée en Suisse par Julius Baer. Elle fait encore un détour par Malte avant de travailler pour la première fois en Suisse romande, à l’Union Bancaire Privée, à Genève. Il n’y a plus qu’à franchir la Versoix. Cela s’est fait en 2016 avec sa nomination au conseil d’administration de la Vaudoise Assurance, puis à celui de la BCV, avant de prendre les commandes de «la banque des Vaudois», l’an prochain.

Reproduction de l'article paru dans 24heures le 19 mai 2021. ©24heures
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Bio

  • 1963 Naissance à Athènes.
  • 1968 La famille s’installe à Londres, près du quartier de Chelsea.
  • 1984 Études de physique à l’Imperial College de Londres.
  • 1986 Son premier travail dans la finance à la Société Générale à Londres. Cette même année, elle rencontre son mari, déménage en Suisse et débute à UBS.
  • 1993 Part s’installer à Paris.
  • 1996 Revient à Zurich pour travailler chez Julius Baer.
  • 2010 Arrive en Suisse romande pour intégrer la direction générale de l’Union Bancaire Privée (UBP) à Genève.
  • 2016 Nommée au conseil d’administration de la Vaudoise Assurances. 2020 Entre au conseil d’administration de la BCV.
  • 2021 Le Conseil d’État vaudois la choisit pour présider la BCV.
  • 2022 Entrée en fonction.