Le système actuel d’imposition de la propriété du logement présente des lacunes et le Conseil fédéral est ouvert à l’idée de le réformer, estimant qu’il incite à l’endettement privé.

DANS LE CANTON 21 novembre 2023
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La suppression de la valeur locative est-elle en vue?

L’imposition de la valeur locative pourrait être abolie dans un futur proche. Un projet en ce sens est en cours d’examen aux Chambres fédérales. S’il aboutit, un changement de système dans la fiscalité du logement aurait des implications importantes pour les ménages propriétaires de leur domicile, qui sont soumis à cet impôt.

Un serpent de mer législatif

Après de multiples tentatives, la suppression de la valeur locative est de nouveau à l’ordre du jour au Parlement fédéral. Lors de la session de printemps de cette année, le Conseil national a ainsi adopté un nouveau système d’imposition du logement impliquant l’abolition de la valeur locative, tant pour les résidences principales que secondaires. En contrepartie, les dépenses d’entretien ne seraient plus déductibles. Quant aux intérêts passifs, ils ne seraient plus déductibles que jusqu’à un plafond correspondant à 40% du rendement imposable de la fortune; le plafond figurant dans la législation actuelle, c’est-à-dire le rendement imposable de la fortune augmenté d’un montant de 50 000 francs, est suffisamment élevé pour permettre à de nombreux contribuables une déduction totale. Par ailleurs, le texte adopté par le National prévoit des exceptions pour les travaux de restauration de monuments historiques, ainsi qu’un traitement spécial pour les nouveaux acquéreurs.

Le dossier va retourner au Conseil des États, d’où il était parti à l’initiative de sa Commission de l’économie et des redevances (CER-E). La version adoptée par le Conseil national diffère cependant sur de nombreux points de la précédente pour aboutir à un compromis acceptable par la majorité
de ses membres. Parmi les différences les plus notables, le Conseil des États voulait restreindre l’abolition de la valeur locative aux résidences principales, tandis que le plafond des déductions des intérêts passifs aurait été supérieur, à hauteur de 70% du rendement imposable de la fortune.

Si les Chambres finissent par se mettre d’accord, c’est vraisemblablement le peuple qui aura le dernier mot. En effet, au cours des débats, la gauche s’est opposée à certains aspects du projet, estimant notamment que le maintien de la déduction partielle des intérêts est un cadeau fait aux propriétaires et crée une inégalité de traitement pour les locataires. Le cas échéant, s’il est soumis au verdict des urnes, le changement de système devra franchir un autre obstacle: près des deux tiers des ménages ne sont pas propriétaires de leur logement et n’ont pas d’intérêt à voir le système changer. D’ailleurs, par le passé, les initiatives visant à abolir la valeur locative ont été nombreuses, mais aucune n’a abouti.

Pourquoi réformer cet impôt ?

La notion de valeur locative peut paraître particulière, puisqu’il s’agit d’un revenu en nature, purement fictif. En effet, depuis une centaine d’années, le droit suisse considère qu’habiter son propre logement engendre des avantages – avoir un toit, ne pas payer de loyer – qui doivent être considérés comme un revenu imposable. Un constat valable tant pour une résidence principale que pour une résidence secondaire. En contrepartie, les propriétaires peuvent déduire fiscalement ce qui est considéré comme des frais d’acquisition de ce revenu, à savoir les intérêts hypothécaires ou des dépenses d’entretien pour préserver la valeur du logement.

Le système actuel d’imposition de la propriété du logement présente toutefois des lacunes et le Conseil fédéral est ouvert à l’idée de le réformer, estimant qu’il incite à l’endettement privé. Globalement, selon les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la dette des ménages suisses en regard de leur revenu disponible est l’une des plus élevées au monde. De plus, le calcul de la valeur locative s’avère complexe, alourdi par le système des déductions fiscales.

En ce qui concerne les effets concrets d’une abolition de cette dernière, ils dépendraient des contours du projet et du niveau des taux d’intérêt. Si le calcul est ardu, les estimations de l’Administration fédérale des contributions montrent que la remontée des taux d’intérêt tend à rapprocher la réforme de la neutralité pour les finances de la Confédération.

Du point de vue des ménages, la question est plus complexe, du fait que l’équation intègre aussi l’endettement, les frais d’entretien et le taux marginal d’imposition, c’est-à-dire le taux des dernières tranches du revenu imposable; or, l’impôt étant progressif, ces dernières sont aussi celles qui sont le plus fortement taxées. En fonction de ces paramètres, les effets de la réforme différeraient grandement d’un cas à l’autre. L’un des constats déjà possibles aujourd’hui est toutefois que les rentiers qui ont largement, voire complètement, amorti leur hypothèque auraient avantage à voir le système évoluer. Et ce, d’autant plus que certains d’entre eux n’ont pas forcément les moyens d’entreprendre des travaux d’entretien, aujourd’hui déductibles.

En outre, la suppression de la déduction des dépenses d’entretien en cas d’abolition de la valeur locative suscite aussi des interrogations. D’une part, le changement de système pourrait ne pas être avantageux pour un propriétaire dont le logement aurait besoin de travaux d’entretien importants. D’autre part, la disparition d’une incitation à entretenir son logement fait craindre à certains une dégradation de l’état global du bâti dans le pays, voire une obsolescence énergétique qui irait dans le sens opposé à celui de la volonté de réduction de l’empreinte carbone.

Valeur locative et déductions fiscales

Comment la valeur locative de son logement est-elle déterminée? Étant un revenu en nature, elle ne peut pas être directement évaluée. C’est donc l’autorité fiscale qui établit les règles de calcul. En ce qui concerne le canton de Vaud, elles sont expliquées dans le document de l’Administration cantonale des impôts intitulé «Instructions complémentaires concernant la propriété immobilière» (dernière édition pour la déclaration 2022). La valeur locative repose sur trois règles: premièrement, elle correspond à un loyer du logement fixé sur la base d’une statistique des loyers mise à jour périodiquement; deuxièmement, le loyer moyen du logement est estimé au début de chaque période fiscale en étant indexé sur les indices du coût de la vie, des loyers et de la construction; troisièmement, une réduction de 35% est accordée sur le plan cantonal et communal sur le résultat du calcul de la valeur locative (pour l’impôt fédéral direct, cette réduction n’est que de 10%).

La statistique des loyers qui sert de référence est celle qui a été établie sur la base du recensement fédéral des bâtiments et logements vaudois de 2000. La valeur locative dépend de la surface du logement, de l’âge du bâtiment (immeuble ancien ou moderne), de sa situation géographique, du type de logement (villa individuelle ou habitat groupé; villa mitoyenne, immeuble à plusieurs appartements). L’inconfort du logement ou un environnement exceptionnellement défavorable sont également pris en compte. La méthode, fondée sur les loyers, est valable pour tous les immeubles, résidences principales ou secondaires. Les immeubles affectés à l’habitation d’un exploitant du sol font toutefois exception, ainsi que les immeubles présentant des caractéristiques exceptionnelles (notamment des maisons de maître, châteaux ou masures) et les immeubles situés à l’étranger.

En contrepartie de cette valeur locative, les propriétaires peuvent déduire les intérêts hypothécaires et leurs dépenses d’entretien de l’immeuble. Selon le montant de ces charges, qui dépendent notamment du montant de la dette hypothécaire et des taux d’intérêt appliqués, l’impact de la valeur locative peut être fortement réduit (voir, par exemple, l’encadré ci-dessous).

Quel est l’impact sur le revenu imposable dans le système fiscal actuel ?

L’illustration du calcul de la valeur locative dans le canton de Vaud peut, par exemple, se baser sur l’un des cas fictifs proposés par l’Administration cantonale des impôts. Il s’agit d’un couple de concubins, Monsieur X et Madame Y, qui font ménage commun dans un immeuble de 200 m² construit en 1960 et dont ils sont copropriétaires à parts égales. Comme contribuables distincts, ils remplissent chacun une déclaration d’impôt individuelle, avec la formule de détermination de la valeur locative, qui est répartie par moitié sur chacun d’eux. Cet exemple ne tient pas compte des cœfficients communaux.

Le point de départ est le recensement fédéral 2000. Une surface de 200 m² correspond à une valeur de 30 981 francs, tandis que le cœfficient lié à l’âge du bâtiment s’établit, pour un bien immobilier construit entre 1943 et 1967, sans rénovations lourdes ou transformations importantes, à 0,91. La valeur locative est donc réduite à 28 193 francs (= CHF 30 981 x 0,91).

Sur ce montant est appliqué un taux d’adaptation de 120% pour la période fiscale 2022, donnant une valeur locative indexée de 33  832 francs (= CHF 28 193 x 120%). Finalement, la valeur locative imposable est obtenue en appliquant l’abattement cantonal de 35%, soit 21 991 francs (= CHF 33 832 x 65%). Les deux copropriétaires sont imposés individuellement et la valeur locative qui leur est attribuée est de 10 996 francs chacun (= CHF 21 991 x 0,5).

L’augmentation de l’assiette fiscale peut être réduite par la déduction des intérêts passifs et des frais d’entretien. Si, dans cet exemple, le couple est endetté à hauteur de 600 000 francs, avec un crédit hypothécaire à un taux fixe de 2% par an, la charge annuelle d’intérêt est de 12 000 francs; grâce à l’augmentation de 50 000 francs du plafond, le rendement
imposable de la fortune ne joue aucun rôle et les intérêts sont entièrement déductibles. À cela s’ajoutent 5 000 francs de frais d’entretien annuels. Le total déductible est de 17 000 francs ou 8 500 francs pour chaque concubin. Ainsi, le revenu imposable individuel n’augmente que de 2 496 francs (= CHF 10 996 - CHF 8 500).

S’ils envisagent un amortissement supplémentaire, M. X et Mme Y devraient intégrer dans leur réflexion leur taux marginal d’imposition, supposé à 30% pour les deux dans cet exemple, ainsi que les rendements sur les marchés financiers. L’économie d’intérêts s’élèverait à 2% de la somme amortie, tandis que la baisse des déductions correspondrait à une charge fiscale de 0,6% (= 2% x 30%) sur ce montant. En présence d’une alternative d’investissement offrant un rendement de plus de 1,4%, la question de privilégier cette dernière option se pose.

Ce qui changerait avec le nouveau système

Quel serait l’impact de la réforme pour M. X et Mme Y? Sur la base du projet adopté par le Conseil national, seules les déductions liées aux intérêts passifs entreraient en ligne de compte, jusqu'à 40% du rendement imposable de la fortune. Trois cas de figure se présentent. En l’absence de rendement imposable de la fortune, il n’y aurait aucune déduction et, par rapport au système actuel, le revenu imposable et la charge fiscale diminueraient de 2 496 francs et de 749 francs avec le taux marginal de 30% (= 2 496 x 30%). Jusqu’à 30 000 francs de rendement imposable de la fortune (CHF 30 000 x 40% = CHF 12 000), une partie des intérêts serait déductible, à hauteur de 40% de
ce rendement.

La pleine déduction interviendrait à partir de 30 000 francs de rendement imposable de la fortune et le revenu imposable baisserait de 12 000 francs. Par rapport au régime actuel, le revenu imposable diminuerait de 14 496 francs (- CHF 2 496, puis - CHF 12 000) et la charge fiscale de 4 349 francs.

Les deux concubins devraient-ils amortir davantage leur prêt pour réduire la charge d’intérêt? D’un côté, le montant amorti ne serait plus soumis à un intérêt de 2%. De l’autre, la diminution des déductions se traduirait par une hausse de l’impôt correspondant à 0,24% de l’amortissement (= 2% x 40% x 30%). L’économie correspondrait ainsi à 1,76% de l’amortissement. Un «rendement» qui devrait aussi être comparé aux alternatives de placement.

Pour être complète, la réflexion devrait aussi intégrer, dans la mesure du possible, le taux hypothécaire qui s’appliquerait lors du renouvellement du prêt, et bien entendu d’autres paramètres. Cet exemple est fictif et vise uniquement à illustrer les enjeux pour les ménages. Chaque cas est différent et devrait être évalué de manière individuelle, avec l’aide d’une ou d’un spécialiste si nécessaire.

Accélérer l’amortissement ? Pas forcément

Lorsque les taux d’intérêt augmentent, la déduction fiscale liée à la charge des intérêts s’accroît. Mais les intérêts payés également. Dans le régime actuel, et a fortiori en cas d’abolition de la valeur locative, la hausse des taux pourrait à première vue inciter les ménages à procéder à des amortissements supplémentaires afin de réduire le montant des intérêts. Pour autant qu’ils en aient les moyens, naturellement, sachant qu’un prêt hypothécaire doit être amorti aux deux tiers de la valeur du bien en quinze ans.

Le calcul prend en compte les déductions possibles, le taux marginal d’imposition, du fait que les dernières tranches du revenu imposable seraient celles qui seraient concernées par l’amortissement, ainsi que les alternatives de placement. Si un autre placement rapporte plus que l’économie nette d’intérêts – c’est-à-dire après l’effet fiscal – obtenue avec un amortissement, la question de privilégier cette option se pose. Une autre approche réside dans un amortissement indirect: au lieu de rembourser progressivement la dette hypothécaire, il est possible d’alimenter une solution de prévoyance servant de garantie. Cette solution a l’avantage de préserver les déductions fiscales.

Il reste que les préférences personnelles ne sont pas forcément alignées sur la logique des chiffres. Certains ménages peuvent être mal à l’aise face à l’idée d’accepter un risque de marché ou d’être endettés sur le long terme. C’est là aussi qu’une planification patrimoniale, dont la stratégie hypothécaire serait l’un des volets, prend tout son sens. Il s’agit de s’assurer de pouvoir disposer d’un revenu minimum lorsque l’on atteindra l’âge de la retraite. Or, en amortissant trop fortement son bien immobilier, on prend le risque d’y bloquer une part trop importante de son patrimoine, sans pouvoir y avoir accès en cas de nécessité.