Damien Van Achter est intervenu en novembre dernier à l'Ouest Forum de Crissier.
Qu’ils soient vos clients ou vos consommateurs, les jeunes nés entre le début des années 80 et le milieu des années 90 ont des attentes et des fonctionnements très différents de leurs aînés. Décryptage par Damien Van Achter, journaliste et entrepreneur, lors de l’Ouest Forum 2016, le 17 novembre dernier.
L’enjeu d’une organisation est de dénicher les talents et de les garder. Or les talents de 20 à 30 ans aujourd’hui ont des envies et des réflexes à l’opposé des fonctionnements traditionnels des entreprises. Les jeunes de la génération Y considèrent que les documents papier font partie du passé, sont habitués aux contenus en streaming, sont allergiques à toute logique hiérarchique et préfèrent instaurer des relations de confiance que de subordination avec leurs collègues. Les avantages procurés par les entreprises classiques ne les font plus rêver: à l’emploi à vie et à la voiture de fonction, ils préfèrent des missions motivantes et la possibilité de pouvoir travailler avec leurs propres outils informatiques.
Les journées de 9h-17h et la course au présentéisme? Très peu pour une génération habituée à se connecter du réveil au coucher. L’analyse d’une journée de travail typique d’un millenial montre que ces derniers travaillent sur une plage horaire très longue, mais de manière discontinue. Aucun souci, donc, pour communiquer ou créer de la valeur avec des personnes situées sur d’autres fuseaux horaires. Reste à savoir quel sera l’impact sur leur santé.
Plutôt attirés par le statut d’indépendant et l’autonomie que par le salariat et ses contraintes, les Y-ers apprécient cependant de travailler en communautés. Ces dernières, une fois constituées, n’hésitent pas à investir les lieux les plus improbables (chapelles, anciens bateaux, salles d’escalade) pour les convertir en espaces de coworking, qui répondent à leurs besoins et leurs envies. Par contre, l’inverse -rénover un lieu avant de savoir à qui il sera adressé- ne fonctionne pas.
Ne pas séparer travail et vie privée, voire mêler les deux, est une évidence pour les jeunes nés dans les années 80 et 90. Et travailler n’importe quand, n’importe où leur semble normal. De nombreuses start-ups se sont créées pour répondre à ces nouveaux besoins, qui permettent moyennant un loyer mensuel de travailler tous les six mois dans un nouvel endroit de rêve. Ce concept de ‘Remote work’, qui fait de la mobilité un mode de vie va comme un gant à une génération qui vit souvent célibataire et sans charges. Preuve de cette mobilité à toute épreuve, la consommation de data en déplacement a dépassé celle en stock.
Blogger, rédiger des posts, publier des photos, capter et éditer des vidéos: quel que soit l’outil, les digital natives trouveront le tutoriel en ligne pour s’en servir et mettre en scène leurs propres histoires, leurs points de vue, sur de nombreux supports. Ils savent aussi que le contenu peut attirer des marques, des sponsors et qu’une audience, surtout si elle est homogène, se monétise. Cependant cette ‘digital literacy’, ou aptitude à produire du contenu digital, ne les rend pas toujours plus critiques envers les contenus médiatiques. Les digital natives sont parfois aussi des ‘digital naives’.
Le concept de co-living, ou vivre ensemble, n’a en soi rien de neuf. Cependant, dans les nouvelles communautés qu’ils construisent, les millenials laissent une large place à l’autonomie de chacun mais aussi aux expériences communes (conférences, tournois, fêtes), pour que les colocataires partagent plus que du wifi. Les nouvelles communautés de vie qui se créent ainsi s’apparentent à des conciergeries de luxe, où les questions administratives et techniques sont prises en charge et partagées.
Hacker c’est repérer les failles du système et l’améliorer. Pour une génération née avec la technologie, la croyance en cette dernière est bien ancrée: c’est elle qui permet de résoudre ce monde imparfait. C’est cet esprit qui est partagé et explique l’énergie qui se dégage de ‘hacker houses’ ou ‘startup houses’ où de jeunes entreprises se créent.
Les millenials ont des convictions, des croyances, qu’ils ne taisent pas. Par contre ils aiment être challengés. Pour les intéresser, il faut leur faire confiance, leur demander d’identifier des problèmes, de monter des projets, les défendre comme des start-uppers auraient à le faire.
Les millenials sont inspirés et concernés. Passionnés, ils se posent beaucoup de questions sur le monde dans lequel ils vivent, notamment sur la planète, le monde du travail dans lequel ils évoluent. Avoir une raison de se lever le matin, savoir pourquoi on pratique un business, quel est le problème que l’on veut résoudre, en quoi ce qu’on fait change le monde est essentiel pour pouvoir les motiver dans leur travail. Ils accepteront un job ‘alimentaire’, mais uniquement le temps de financer un projet personnel qui les passionne réellement.
Les millenials ne se tairont pas. Qu’il s’agisse de produits, projets, services: la culture du feedback est ancrée chez eux, et s’ils n’obtiennent pas de réponses, ils n’hésiteront pas à interpeller votre entreprise sur les réseaux sociaux, en mettant en avant leur propre expérience, qu’elle soit négative ou positive.
«No bullshit» est le mot d’ordre de cette jeunesse habituée à avoir accès à toute l’information en direct. Ce qui compte pour la génération Y, c’est un discours transparent et responsable. Vouloir se défausser de ses responsabilités, tricher, mentir ne fonctionne pas à l’heure du fact-checking et des réseaux sociaux qui permettent la diffusion rapide de l’information – ou de rumeurs, tout aussi faciles à démonter. Cela vaut aussi pour eux-mêmes: ils ont grandi à l’heure des profils en ligne, travaillés à l’excès. A l’heure où l’on contrôle son e-reputation, ils assument leurs photos pas toujours reluisantes sur Facebook, et n’ont pas peur d’une chose essentielle: être vrais.
Damien Van Achter se définit comme un creative technologist. Ce professeur de journalisme en ligne à l'IHECS (Bruxelles) et EFJ (Paris-Bordeaux) est aussi entrepreneur et consultant en stratégie numérique. Il est par ailleurs co-fondateur de NEST'up, premier accélérateur de startup en Wallonie (Belgique) . Il a développé un canevas de lean journalism, outil de développement business pour faire grandir rapidement des projets journalistiques. Il a été Young Advisor (2012) auprès de la commissaire européenne Neelie Kroes (Digital Agenda). Au-delà des tendances qu’il analyse Damien Van Achter teste, entreprend et développe des prototypes liés aux technologies de l’information, entouré de jeunes talents à qui il offre un cadre de travail unique en son genre.
Camille Andres, rédactrice, pour la BCV