Julien Scarpa, directeur associé chez CBRE, a présenté son analyse du marché de l'immobilier international lors des Pros de l'immobilier, une manifestation organisée par la BCV.

Entreprises 5 juin 2024

«La demande pour l’immobilier opérationnel se poursuit»

Des changements structurels et conjoncturels ont fortement secoué le marché immobilier international ces dernières années. Quelles sont les grandes tendances? Concernent-elles la Suisse? Le point avec Julien Scarpa, directeur associé, Research&Consulting, chez CBRE, en marge de la manifestation organisée par la BCV, les Pros de l’immobilier.

Quelles sont les principales tendances qui touchent le marché immobilier international?

L’immobilier international est touché par deux types de tendances. Les premières sont d’ordre structurel. Vers 2008-2010, les investisseurs recherchaient principalement des bureaux et des commerces. Petit à petit, cette demande s’est réorientée. Leur intérêt se porte désormais sur les surfaces opérationnelles, industrielles, liées à la logistique, voire résidentielles. Un phénomène qui s’est même accéléré récemment. Les secondes tendances sont d’ordre conjoncturel. La hausse des taux d’intérêt a chamboulé le marché immobilier aux États-Unis et en Europe dès 2022. La liquidité a reculé et les valorisations ont chuté. Aujourd’hui, si la situation semble se stabiliser en Europe, elle est encore floue outre-Atlantique.

Prenons l’exemple des bureaux, entre les marchés européens et américains parle-t-on de décalage temporel ou de profondes différences?

Le brusque changement de politique monétaire a rendu globalement l’immobilier moins attractif que d’autres classes d’actifs pour les investisseurs. Certains secteurs, dont les bureaux, ont été particulièrement touchés par le repricing et la baisse de liquidité. Au-delà de ces éléments conjoncturels, le marché des bureaux a été particulièrement concerné par des éléments structurels, à commencer par le télétravail. Outre-Atlantique, l’organisation territoriale influe sur la distribution des bureaux, souvent situés dans les grands centres d’affaires des métropoles, et des zones résidentielles, souvent loin en périphérie. L’univers du bureau dans les pays anglo-saxons est ainsi lié à la notion de coûts du transport – coûts en heures, coûts financiers, coûts humains, etc. Dans ce contexte, l’arrivée du télétravail a pris des allures de bouleversement culturel. Les entreprises ont réduit leurs surfaces de bureau au centre. Cette baisse de la demande a souligné l’obsolescence de pans entiers du parc. En Europe, la situation se lit aussi dans certains grands centres, mais de manière moins marquée qu’aux États-Unis ou au Canada.

Ces tendances vont-elles également toucher la Suisse?

Les grandes tendances partent en général des États-Unis avant de toucher l’Europe, puis la Suisse. À une exception près, dans le cas présent: en Suisse, la demande pour le résidentiel a toujours été forte. En ce qui concerne le télétravail, il a moins d’impact ici en raison d’une politique différente d’aménagement du territoire. Les distances entre lieu de travail et lieu de résidence sont en moyenne nettement plus faibles que dans les métropoles américaines ou européennes. En revanche, le concept d’obsolescence se fait également sentir. La polarisation observée en région genevoise en est la preuve. Le taux de vacance a ainsi progressé et les prix ont chuté autour de l’aéroport, alors qu’au centre-ville, le taux de vacance s’est stabilisé à des niveaux bas après de longs trimestres de baisse, tirant les prix vers le haut. Par ailleurs, en Suisse aussi, il est question de transformation de surfaces de bureaux en surfaces résidentielles, même si le phénomène n’est de loin pas aussi important que dans les Central Business Districts des mégapoles américaines.

Peut-on parler globalement de prime «verte ou ESG»?

Le marché fonctionne aujourd’hui à deux vitesses avec d’une part les surfaces répondant aux normes environnementales et d’autre part, celles les ignorant. Il est important, côté prix, de prendre en compte non seulement ce que l’on pourrait appeler la «prime verte», puisque la demande augmente pour les immeubles mis en conformité, mais aussi – et surtout – de ne pas négliger le risque de «décote brune», soit le manque d’intérêt de la majorité des investisseurs pour les immeubles non rénovés. Là, à nouveau, une différence existe entre le secteur résidentiel et le secteur des bureaux. Dans ce dernier, les entreprises devant fournir des rapports de Responsabilité sociale d’entreprise (RSE) sont sensibles à la qualité environnementale de leurs bureaux. La demande des particuliers est moins décisive.

Quels sont les marchés les plus intéressants en matière de rendement?

Dans le résidentiel, le risque est faible, les rendements le seront aussi. Dans les autres secteurs, la situation varie, mais globalement le risque – donc les rendements – est plus élevé. Ainsi, dans les secteurs recherchés depuis cinq à six ans, comme la logistique aux États-Unis, la hausse des taux a pénalisé les rendements. En Suisse, la logistique n’est pas encore à ce stade de maturation, du potentiel peut encore exister. Dans l’immobilier opérationnel (logements seniors ou étudiants, data centers, life sciences, etc.), le rendement dépend du degré d’implication des opérateurs des parcs. Côté bureaux, l’aspect conjoncturel – solidité des entreprises et respect des baux à loyer – joue un rôle.