Pour Jean-Matthieu Sternberg, consultant de Pira Energy Group, le rééquilibrage du marché entre offre et demande de pétrole s’est amorcé.

MARCHÉS 30 mai 2016
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Fin 2016, le baril de pétrole sera à 50 dollars

Nous entrons dans un nouveau cycle pétrolier. Le rebond des cours du baril depuis leur plus bas du début de l’année n’est pas passager malgré l’échec ce dimanche d’un accord entre producteurs, selon Jean-Matthieu Sternberg, consultant de Pira Energy Group spécialisé dans l’énergie pétrolière. Il s’est exprimé le 13 avril, lors du 5 à 7 de la Finance BCV. Entretien.

Comment voyez-vous évoluer les cours du pétrole cette année?

Le pire est derrière nous. Nous nous attendons à un rééquilibrage du marché entre offre et demande dans les prochaines semaines déjà, ce qui permettra au baril de revenir à 50 dollars à la fin de l’année. Et, à observer les différents indicateurs clés du marché, il devrait retrouver un niveau d’équilibre vers 75 à 80 dollars après 2018. A noter qu’aujourd’hui, le prix du pétrole s’avère relativement bas, surtout si l’on prend en considération tous les problèmes géopolitiques dans le monde (Syrie, Irak, Daech, etc.)

Quels sont les éléments qui vous poussent à prévoir un rééquilibrage si rapide du marché?

Nous arrivons à la fin du surplus d’offre qui a caractérisé le marché depuis 2014. Les pays producteurs traditionnels n’ont plus beaucoup de marge de manœuvre en matière capacités de production. L’OPEP devrait mettre 33,19 millions de barils par jour (mbj) sur le marché cette année et 33,87 l’an prochain. Or, ces estimations ne tiennent pas compte de certaines tensions géopolitiques (Nigeria, Venezuela, Algérie, Daech, etc.). Mais l’élément déterminant dans cette analyse de l’offre, c’est la production non-OPEP, principalement les barils américains, qui affiche un fort déclin en raison du recul des prix (-0,77 mbj en 2016). Conséquences: les excédents de stocks commerciaux ont atteint leur pic en début d’année et devraient disparaître à fin 2017. Quant aux capacités de production de réserve (spare capacity), elles stagnent à des niveaux très bas (environ 1,5 mbj) et se situent uniquement en Arabie Saoudite.

Et à plus longue échéance?

Un autre élément joue en faveur d’une progression graduelle des prix: la baisse des investissements conséquence du recul des cours. Plusieurs projets devront ainsi être abandonnés ou retardés, sans oublier que, chaque année, sans investissements, les puits traditionnels déclinent naturellement de 7%. Ce sont ainsi 1,3 mbj qui devraient manquer d’ici fin 2017 en raison de ces économies. A ceci s’ajoute la poursuite de la hausse de la demande qui, contrairement aux idées reçues, n’a jamais baissé. L’an dernier, l’augmentation était de 1,65 mbj et nous tablons pour cette année sur une progression de 1,85 mbj. Habituellement, dans une économie qui croît à un rythme 3%, la hausse avoisine 1,1 mbj. En fait, l’effet prix bas a beaucoup joué sur la demande, surtout dans les pays développés. A plus longue échéance, la demande sera toujours davantage tirée par les économies émergentes. (voir tableau ci-dessous).

 

Evolution de l’offre et de la demande de pétrole dans le monde

En millions de barils par jour

  Année  

  offre (mbj)  

  demande (mbj)  

  2015  

  97,1  

  95,4  

  2016  

  97,3  

  97,2  

  2017  

  97,7  

  98,7  

Source: Pira Energy Group

 

Dans quelle proportion la baisse des prix du pétrole a-t-elle touché la production non conventionnelle, à commencer par celle des pétroles de schistes américains?

Ce pétrole a deux caractéristiques: il est un peu plus cher à exploiter et présente un cycle de vie plus court que le pétrole OPEP. Ainsi, si les prix étaient restés au niveau de 30 dollars, il n’y aurait plus de production de pétrole de schistes d’ici deux ou trois ans. Et des cours aux environs de 60 dollars sont nécessaires pour recréer de la production additionnelle. Par ailleurs, le brut conventionnel exige une période de cinq à dix ans entre l’investissement et l’extraction de la première goutte pour un puits qui produit ensuite pendant une quinzaine d’années. Dans le pétrole de schistes, les cycles sont plus courts: deux ans environ pour la mise en production et à peine plus pour la durée de vie du puits. Les réactions aux prix sont ainsi plus immédiates. La production des pétroles de schistes a baissé de 0,9 mbj depuis son pic de début 2015. Le recul pour cette année devrait atteindre 0,5 mbj avec un plus bas en mai. Avec 8,8 mbj de production, les Etats-Unis montent sur la troisième marche des producteurs mondiaux derrière l’Arabie Saoudite et la Russie (environ 10 mbj chacun).

Comment expliquez-vous l’échec le 17 avril de l’accord de Doha sur un gel de la production de l’OPEP et de quelques autres producteurs non-OPEP, dont la Russie?

La plupart des pays de l’OPEP étaient favorables à un gel de la production à l’exception notable de l’Arabie Saoudite. Riyad refuse de bloquer sa production alors même que l’Iran augmente la sienne suite à la levée des sanctions internationales. Cette situation démontre bien que l’Arabie Saoudite ne veut plus d’une politique de contrôle des prix. Depuis novembre 2014, elle mène une stratégie purement économique: produire le plus possible indépendamment de toute géostratégie pour gagner des parts de marchés. Si à court terme, suite à cette décision, les prix repartent à la baisse, la tendance ne devrait pas durer, car le marché poursuit son rééquilibrage. En fait, cet échec renforce nos craintes de voir dans le futur des pics de hausse des prix dus au sous-investissement actuel.

Comment va se développer la production iranienne?

Nous nous montrons plus prudents que le gouvernement iranien sur sa capacité de production en raison de la longue inactivité des puits due aux sanctions internationales. Ils parlent de 4 mbj de production potentielle, ils n’y parviendront que lorsque les investissements massifs produiront leurs effets. Soit pas avant trois à quatre ans. Nous tablons sur une production de 3,4 mbj cette année et 3,7 mbj l’an prochain.

 Publié le 18 avril 2016 sur le site BCV

Propos recueillis par Anne Gaudard, rédactrice, BCV