L’intérêt renouvelé pour l’hydrogène provient de la nécessité de trouver des alternatives aux hydrocarbures pour limiter les émissions de CO2, explique le professeur de l'EPFL Hubert Girault.
«Des rêveurs comme moi, il y en a beaucoup sur terre». Hubert Girault est professeur d’électrochimie physique et analytique à l’EPFL. Il croit depuis longtemps que l’hydrogène peut changer le monde. Il fait le point sur le développement de ce vecteur énergétique.
L’intérêt des années 70 a été notamment suscité par la crise pétrolière. Une fois cette crise, d’origine politique, passée, l’industrie pétrolière est revenue au premier plan. Par ailleurs, l’émergence de la production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire laissait entrevoir une ère d’électricité propre et pas chère. Aujourd’hui, l’intérêt renouvelé pour l’hydrogène provient de la nécessité de trouver des alternatives aux hydrocarbures pour limiter les émissions de CO2.
Le dieselgate. Il a soudain été important de trouver une alternative au diesel, une motorisation qui est source de mortalité, comme on le sait désormais. Les solutions de mobilité liées à l’hydrogène conviennent aujourd’hui particulièrement bien aux véhicules allant du gros SUV aux camions, en passant par les camionnettes, sans oublier bien sûr les bateaux ; autrement dit, aux gros consommateurs de diesel. Je peux encore citer d’autres éléments déclencheurs comme le renforcement des normes anti-pollution, les mouvements citoyens pour sauver le climat ou l’effondrement du marché automobile traditionnel.
L’hydrogène n’est pas une source d’énergie primaire. C’est un vecteur énergétique. Actuellement, la production d’hydrogène s’appuie essentiellement sur les hydrocarbures, notamment le charbon ou le gaz naturel. Les plus importants utilisateurs dans le monde sont les raffineries. La chute des prix de production de l’électricité à partir des énergies renouvelables, à partir du solaire notamment, est un des facteurs du renouveau de l’hydrogène. Il permet notamment le stockage à court terme de l’énergie produite de manière intermittente (solaire, éolien) ou le déplacement de cette énergie via des hydrogénoducs. Des stations de recharge d’hydrogène liquide pourraient voir le jour en mer du Nord pour les bateaux au large des fermes d’éoliennes offshore.
Les investissements. Aujourd’hui, une bonne partie des investissements liés à l’énergie concerne encore la recherche et le forage pour l’extraction d’hydrocarbures. C’est d’autant plus flagrant que les autres obstacles tombent les uns après les autres. La situation s’est notamment débloquée en Chine il y a deux à trois ans. Le gouvernement a donné son soutien à ce vecteur énergétique. Et lorsqu’il l’a fait pour les batteries lithium-ion ou les panneaux solaires, le pays est vite devenu leader mondial dans le secteur. Mais la Chine n’est pas seule. Des importantes avancées ont été enregistrées au Japon et en Corée du Sud. Des conglomérats comme Hyundai, Kawasaki ou Toyota ont beaucoup investi et proposent des solutions que l’on trouve déjà sur le marché. En Europe, la France et l’Allemagne font figure de locomotive. Les Etats-Unis sont, eux, quelque peu à la traîne. Il ne faut pas se le cacher, les gros investisseurs aujourd’hui dans l’hydrogène sont les sociétés chimiques et pétrolières. Dans leur vision à long terme, ce vecteur énergétique est une des clés pour répondre aux défis que pose la transition énergétique.
Quelques rares voitures et camions roulent déjà avec des piles à combustibles qui transforment l’hydrogène en électricité au contact de l’oxygène et rejettent de la vapeur d’eau. Mais le réseau de pompes n’est pas encore suffisant pour permettre le développement de flottes de véhicules sur le plan privé. De plus, les réservoirs prennent encore trop de place pour les petits véhicules. Cela dit, de nombreux projets sont en cours pour élargir les modes de production, de stockage et d’utilisation de l’hydrogène. «Hydrogène du Valais» par exemple propose de développer la production d’hydrogène dans la région de Collombey-Monthey, où vient de s’implanter GreenGT qui développe des voitures de course conçues pour les courses d’endurance comme les 24 Heures du Mans. Une voiture Suisse à hydrogène a fait l’ouverture de la course en juin dernier.
Il est souvent question de mobilité, oui. Mais pas seulement. En Suède par exemple, les aciéristes sont en train de développer une solution pour remplacer le charbon par l’hydrogène et produire de l’acier sans émission de CO2. Toutes les industries essaient de développer de nouveaux procédés propres et l’hydrogène est souvent une solution. De plus, l’Australie, gros producteur de charbon, commence à produire de l’hydrogène à partir de fermes solaires, le liquéfie pour l’envoyer ensuite par bateau au Japon, gros consommateur. Si le 19e siècle fut celui du charbon, le 20e celui du pétrole, le 21e siècle sera indubitablement celui des énergies renouvelables, et l’hydrogène sera sans aucun doute un vecteur énergétique de choix.
Propos recueillis par Anne Gaudard, rédactrice BCV