Les taux bas sont là pour durer longtemps.
Dans leur quête effrénée de rendements, les investisseurs se lancent de plus en plus dans l’achat d’emprunts plus rémunérateurs… mais aussi plus risqués.
Il fut un temps où les taux d’intérêt bas n’étaient qu’une «parenthèse» qui s’ouvrait et se refermait assez rapidement. Ce fut le cas au début des années 2 000, lorsque les taux avaient déjà frôlé le zéro absolu, mais qu’ils étaient remontés de façon spectaculaire en très peu de temps et avaient mis beaucoup d’investisseurs dans une situation délicate. La situation est assez semblable aujourd’hui, à la seule différence que, actuellement, la fin des taux bas semble s’éloigner chaque jour davantage.
En raison de la crise du COVID-19, les investisseurs semblent être de plus en plus au clair en ce qui concerne leur vision à moyen et à long terme: la plupart d’entre eux estiment que les taux bas sont là pour durer longtemps. Et ils sont confortés dans leur vision par chaque nouveau rapport financier et par les interventions constantes des différentes banques centrales, qui pointent dans cette direction.
Pour pallier les rendements négatifs ou proches de zéro, la plupart des investisseurs, qui autrefois n’achetaient que des obligations de qualité, ont jeté leur dévolu sur celles qui offrent des rendements supérieurs. Or, en faisant cela, ils renoncent à la qualité tout en augmentant le risque. Le marché l’a bien compris. Ainsi, les nouveaux emprunts affluent, à des taux défiant tous les records, surtout au vu, parfois, de la qualité de l’émetteur.
La semaine passée, le marché des nouvelles émissions a été pris d’assaut par les investisseurs. Ceux-ci craignent que les conditions financières se détériorent davantage du fait de l’explosion du nombre de cas de COVID-19 en Europe et aux États-Unis et ils pensent que les rendements pourraient baisser encore plus d’ici la fin de l’année.
Profitant de ce mouvement, les émetteurs sont venus en force, mercredi dernier, sur le marché et ils ont émis de la dette à des conditions presque jamais vues. Un exemple parmi les meilleurs de cette frénésie est celui de Rolls-Royce, le fabricant de moteurs d’avion. Il a lancé un emprunt de 1 milliard de livres sterling, avec un rendement attendu conforme à celui des obligations ayant un rating de BB-. La demande a été si forte que le groupe a décidé de doubler la mise, en émettant pour 2 milliards de livres sterling de dette, tout en réduisant le rendement. Faut-il rappeler que Rolls-Royce est actif dans l’aéronautique, l’un des secteurs les plus fortement touchés par la crise actuelle, avec les risques que cela comporte? Cela n’a pourtant pas freiné les investisseurs…
Un autre exemple intéressant est une émission en dollars, lancée le même jour par la Chine, à des taux encore plus bas que ceux de 2019 (à 0,55% contre 1,95%). Elle a été largement sursouscrite, alors que les relations entre Washington et Pékin sont extrêmement tendues...
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante: jusqu’où cette course au rendement pourra-t-elle aller sans mettre les investisseurs en danger?
Publié dans le commentaire hebdomadaire "Matinale Express - Actions" de la salle des marchés de la BCV, le 20 octobre 2020