Le monde croule sous l'offre de pétrole brut alors que la demande a chuté en raison de la crise liée au coronavirus.
Les impacts économiques de la crise du coronavirus sont toujours plus importants. Parfois même déroutants. Ainsi, ils ont poussé les prix du brut américain en territoire négatif. Le déséquilibre entre offre et demande a été exacerbé par des éléments structurels et techniques typiques du marché américain.
Après les taux négatifs, les cours du pétrole négatifs. Le lundi 20 avril, le prix du contrat de pétrole brut américain WTI à échéance en mai s’est échangé à environ -40 dollars. Une situation qui a pesé de tout son poids sur les bourses mondiales. Que s’est-il passé pour que soudain des vendeurs de barils paient les acheteurs pour se débarrasser de cargaisons entières de brut?
Les cours du pétrole pâtissent tout d’abord des conséquences économiques des mesures prises pour freiner la propagation du coronavirus. L’arrêt de pans entiers de l’activité dans le monde a fait chuter la demande alors que les principaux producteurs peinaient à s’entendre sur la gestion de l’offre. Ainsi, la demande de pétrole devrait s’écrouler de plus de 20% au premier semestre selon l’Agence internationale de l’énergie. Les membres de l’OPEP+ – les membres traditionnels du cartel de l’or noir auxquels s’ajoutent d’autres producteurs comme la Russie – ont finalement réussi à mettre leurs désaccords géopolitiques en sourdine et annoncé la baisse d’environ 10% de leur production dès le mois de mai afin de réduire l’offre qui inonde un marché encore peu demandeur.
C’est dans cette situation tendue que, pour la première fois de l'histoire, le prix d’un baril de pétrole WTI est tombé en territoire négatif. Concrètement, le 20 avril, des vendeurs ont offert jusqu’à USD 37,63 par baril pour intéresser d’éventuels acheteurs à recevoir et à entreposer la livraison physique du contrat à échéance en mai. Une situation extraordinaire qui reste limitée au marché américain et, pour l’heure, à cette échéance de mai. En effet, le baril WTI pour livraison en juin continue de se traiter positivement et a même regagné quelques dollars en milieu de semaine sur le marché américain. Cette divergence entre les prix de ces échéances s’explique principalement par des raisons techniques.
Le marché du pétrole américain reste très lié à une structure qui ne tient pas encore totalement compte d’une réalité récente: à savoir que la première économie du monde est aussi exportatrice de pétrole. Les prix dépendent ainsi aussi des capacités de stockage du pays – très centralisées –, or aujourd’hui, elles sont saturées, notamment par la production nationale.
Les acteurs du marché américain du pétrole ne sont par ailleurs pas tous des raffineurs et autres utilisateurs finaux, une partie importante des contrats sont détenus par des investisseurs financiers qui participent au marché via des fonds indiciels et qui ont été attirés par la baisse des cours depuis le début de l’année. Ces investisseurs, typiquement déconnectés des chaînes de raffinage, n’ont pas d’utilité opérationnelle à détenir du pétrole. Habituellement, à l’arrivée de l’échéance du contrat qu’ils détiennent, ils le revendent notamment pour en acheter un autre à échéance plus lointaine. S’ils le gardent jusqu’à échéance, le dénouement du contrat de WTI se réalise par une livraison physique de pétrole. Or, dans la situation actuelle, avec des capacités de stockage de pétrole sur sol américain quasiment épuisées, des investisseurs financiers ont dû vendre à n’importe quel prix les contrats de mai afin d’éviter des coûts d’entreposage excessifs.
Cette distorsion est moins perceptible sur les cours du Brent, une référence internationale qui est historiquement liée à la qualité de pétrole de mer du Nord. Son dénouement se fait généralement en cash et n’est pas biaisé par les contraintes centralisées de stockage comme l’est le marché américain. S’ils ont récemment atteint des pics de volatilité anormaux, les prix sont néanmoins restés en territoire positif. Cela dit, les cours du Brent subissent également les conséquences de la récession économique et sont orientés à la baisse depuis le début de l’année, au grand dam des pays producteurs, notamment les pays émergents.
Unique alors la situation du 20 avril? La situation sur le front du coronavirus et donc de l’activité économique mondiale et le niveau des capacités de stockage aux États-Unis resteront des éléments clés pour le marché du pétrole. Ils risquent d’exacerber la volatilité du cours du WTI de façon récurrente sur les prochaines échéances. La réduction de la production mondiale de pétrole récemment adoptée par l’OPEP+ devrait cependant à terme atténuer ces fluctuations extrêmes sur le marché.
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