L’écosystème du bitcoin a connu un développement effréné ces derniers mois.
La cryptomonnaie affiche une envolée spectaculaire. Elle entre dans les bilans des sociétés. Ses partisans jubilent. Ses adversaires ne désarment pas.
Schéma de Ponzi ou or du XXIe siècle? Le bitcoin divise plus que jamais la communauté financière. Il ne laisse aucun investisseur indifférent. La cryptomonnaie interpelle, ne serait-ce que par sa trajectoire extrêmement chaotique, mais résolument haussière. Avec une valorisation multipliée par cinq sur la seule dernière année et une première incursion au-dessus des 50 000 dollars le 16 février dernier, elle poursuit sa progression.
Là où certains y voient la mère de toutes les bulles, d’autres interprètent l’ascension parabolique du bitcoin comme la juste reconnaissance de son ancrage de plus en plus solide dans l’économie réelle et dans l’ordre financier international.
À l’appui de cette opinion, force est de constater que l’écosystème du bitcoin a connu un développement effréné ces derniers mois, renforçant sa légitimité en tant que monnaie et en tant qu’actif financier.
Le bitcoin a été récemment adoubé par les multinationales du paiement, comme PayPal, Square ou Visa. Ces décisions des grands piliers des transactions mondiales renforcent le statut de monnaie d’échange du bitcoin en lui donnant les clés d’un marché gigantesque. PayPal compte, par exemple, près de 350 millions d’utilisateurs et 26 millions de commerces.
Plus spectaculaire encore, le bitcoin fait irruption dans le bilan des sociétés cotées. Tesla a communiqué il y a quelques jours avoir placé un peu plus de 10% de sa trésorerie nette dans la cryptomonnaie, comme une dizaine d’autres entreprises technologiques américaines. Ces sociétés admettent donc le bitcoin comme un équivalent cash et lui accordent, de fait, le statut de monnaie de réserve.
Sur le marché de l’investissement, qui est devenu l’axe central de l’intérêt pour le bitcoin, une partie de l’industrie financière reconnaît les monnaies numériques comme une classe d’actifs en devenir. Grâce à une gamme très complète de véhicules de placement adossés au bitcoin et à des services de gestion dédiés, la finance traditionnelle est aujourd’hui en mesure de répondre aux attentes des investisseurs les plus sophistiqués. Après avoir séduit des Family Offices et des hedge funds, plusieurs acteurs majeurs s’attellent à rallier à la cause du bitcoin des investisseurs institutionnels encore réticents. Blackrock, le premier gestionnaire d’actifs au monde, et BNY Mellon, la plus ancienne banque des États-Unis, viennent notamment de développer leur offre en ce sens.
Mises bout à bout, ces annonces n’appelleraient qu’une conclusion : de gadget de la contre-culture monétaire, le bitcoin serait en passe de devenir une monnaie et un actif résolument «mainstream». Cet engouement tout public pour le bitcoin serait la résultante d’une défiance généralisée envers les institutions. Il refléterait plus précisément la volonté des particuliers de se protéger contre les dommages collatéraux induits par les politiques budgétaires et monétaires expansionnistes, qui assèchent les sources des rendements obligataires, favorisent le retour de l’inflation et accélèrent la dépréciation des monnaies papier. Dans cet environnement financier dégradé, le bitcoin, dont la production est limitée à 21 millions d’unités, aurait vocation à endosser le rôle joué par l’or métal durant des siècles, raison pour laquelle on l’appelle parfois «l’or numérique». CQFD.
Pas de quoi néanmoins impressionner les contempteurs du bitcoin qui comparent volontiers la folle envolée des prix de la cryptomonnaie à la bulle des bulbes de tulipes de 1636-1637 aux Pays-Bas. Pour ceux-ci, le bitcoin ne remplit même pas les critères de base dévolus à une monnaie. À cause de ses fluctuations extrêmes, le bitcoin ne peut pas, par exemple, jouer le rôle d’unité de compte, c’est-à-dire qu’il ne peut pas servir à la fixation des prix.
Pour la même raison, le bitcoin est peu utilisé comme monnaie d’échange. Que les sociétés de paiement ouvrent leurs canaux de transmission n’y changera rien, anticipent les anti-bitcoin. Les transactions en monnaie numérique concernent d’ailleurs rarement des échanges de biens, sauf quand ceux-ci sont illicites. La validation des opérations par le processus compliqué du minage induit par ailleurs des frais démesurés pour des opérations de détail. Sûre, mais lente, la technologie sous-jacente à la création de bitcoin basée sur la chaîne de blocs est également mal adaptée à une circulation adéquate de la monnaie. Elle ne permet d’effectuer que 7 à 8 transactions par seconde là où le réseau Visa en réalise plus de 20 000.
La forte volatilité du bitcoin et les incertitudes sur sa pérennité enlèvent enfin au bitcoin toute crédibilité en matière de réserve de valeur. Si le bitcoin s’effondrait de moitié, ce qui est arrivé l’an dernier, Tesla devrait, par exemple, inscrire dans ses comptes une perte de valeur à peu près équivalente à son bénéfice annuel de 2020, relèvent des critiques. Les dégâts seraient encore plus conséquents si les pouvoirs publics venaient à réguler, voire à interdire le bitcoin.
Pour ses détracteurs, le bitcoin ne serait d’ailleurs pas plus un actif qu’une monnaie. À leurs yeux, il est dépourvu de toute valeur intrinsèque et ne s’appuie sur aucun sous-jacent réel. Il ne présente aucune des qualités d’un actif traditionnel, à savoir générer des revenus (actions, obligations), servir à un usage (logement) ou avoir une autre utilité. De fait, il n’est en rien comparable à l’or. Comme actif autoproclamé de dernier recours, l’or numérique a d’ailleurs fait bien pâle figure face à son concurrent métal durant le pic de stress de la crise du COVID: le premier s’est écroulé de 50% contre un recul de seulement 10% pour le second.
Pour les voix critiques des cryptomonnaies, le bitcoin n’est finalement qu’un objet de pure spéculation, un jeu de l’avion sophistiqué pour embarquer les geeks. L’implication croissante de l’industrie financière dans l’investissement dans le bitcoin n’ébranle pas leur certitude. Elles font valoir qu’il y a une grande différence entre exploiter un segment d’affaires en croissance et y investir son propre argent. Quant aux achats de bitcoin par Tesla, ce ne serait rien d’autre qu’«une bulle qui rachèterait une autre bulle».
On le voit, les positions des pro et anti-bitcoin sont irréconciliables. Forts de leur conviction que les ralliements directs ou implicites d’institutions financières et de sociétés de premier plan donnent désormais au bitcoin une légitimité que les États ne pourront plus lui contester, les premiers tablent sur une explosion des cours du bitcoin à 100 000 dollars dans quelques mois, puis 500 000 dollars, et pourquoi pas «jusqu’à la lune», pour paraphraser un tweet viral de Lindsay Lohan, actrice et chanteuse américaine. Ces propos font naturellement ricaner le camp adverse qui prédit que le cours du bitcoin évoluera bientôt à la hauteur d’un bulbe de tulipe et qui appelle à une régulation drastique des cryptomonnaies.
Ni le marché, sujet à une volatilité extrême, ni les analystes ne sont aujourd’hui en mesure de dégager ne serait-ce qu’une esquisse de consensus sur la valeur réelle du bitcoin, ce qui ne permet pas d’en faire une thématique de placement. À l’heure actuelle, on peut donc parier sur le bitcoin, mais on ne peut en aucun cas investir dans le bitcoin, faute de repères fiables. On dit autour des champs de courses que le meilleur moyen de ralentir un cheval est de parier sur lui. Vaut-il vraiment la peine de risquer son argent dans du bitcoin pour voir si ce dicton dit vrai?
Nicolas Gay-Balmaz, rédacteur, BCV