L’accord-cadre est enterré, mais le dialogue n’est pas rompu pour autant. Les relations commerciales sont intenses et les intérêts communs à coopérer multiples.
Consternation pour les uns, soulagement pour les autres, l’abandon par le Conseil fédéral, après sept ans, des négociations sur l’accord-cadre institutionnel qui visait à régir les relations futures entre la Suisse et l’UE n’a laissé personne indifférent. Ou presque: les marchés financiers ont à peine réagi à la nouvelle. Si les conséquences de cette décision vont être plus visibles à long terme, les coûts sont déjà réels pour certains secteurs. Rappel des faits, des intérêts et des issues possibles d’un enjeu clé pour l’avenir de la Suisse.
De par leur proximité géographique, les relations entre la Suisse et l’Europe ont toujours été étroites. Elles sont aussi complexes.
Le constat de ces dernières années est celui d’un désaccord fondamental, entre une Union européenne (UE) qui veut inscrire l’accès au marché dans un cadre institutionnel et une Suisse qui veut y accéder, tout en restant en dehors de l’UE[1]. La décision du Conseil fédéral vient encore de le confirmer.
Cette divergence fondamentale n’a pas empêché les deux entités de renforcer leurs liens au cours des dernières décennies. Ceux-ci sont actuellement régis par 120 accords bilatéraux, un corpus initié en 1972, complété notamment après le rejet populaire de l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE), en 1992.
Il faut dire que les intérêts communs sont multiples et de taille, en particulier pour la Suisse (accès au marché unique de 500 millions de personnes; environ 50% des exportations sont destinées à l’UE), mais aussi pour l’UE (Suisse quatrième partenaire commercial; près de 70% des importations suisses viennent de l’UE).
L’accord-cadre devait structurer une relation qui s’était développée durant un demi-siècle, notamment dans cinq domaines majeurs[2]. Il devait faciliter l’actualisation des traités bilatéraux existants et la conclusion de nouveaux accords. Enfin, il prévoyait un mécanisme d’arbitrage pour régler les éventuels conflits.
Après sept ans de négociations, des divergences persistaient sur trois points: la protection des salaires, la citoyenneté européenne et la souveraineté. L’incapacité des parties à s’entendre a conduit le Conseil fédéral à abandonner les négociations, le 26 mai 2021.
Cette décision a le bénéfice de clarifier la position de la Suisse, notamment d’exprimer sa volonté de maintenir son indépendance institutionnelle.
Au rang des conséquences plus dommageables, l’abandon de l’accord-cadre plonge de nombreuses entreprises dans l’incertitude et confronte déjà certains secteurs à une hausse des coûts à l’exportation (medtech). Il signifie aussi qu’aucun nouvel accord bilatéral ne pourra être conclu prochainement.
Les conséquences à long terme dépendront de la capacité de la Suisse à relancer le dialogue avec l’UE et de la disposition de celle-ci à accepter une nouvelle voie.
En attendant, les accords en vigueur restent en place, jusqu’à leur échéance (pour ceux qui en comportent une). Si aucune alternative à l’accord-cadre n’est trouvée pour assurer leur adaptation aux évolutions de la législation européenne, ils subiront une lente érosion. Une telle désagrégation des accords bilatéraux pénaliserait la Suisse (perte d’attractivité, désinvestissements, délocalisations, pertes d’emplois et de compétitivité, isolation), mais serait aussi dommageable pour l’UE (moins d’exportations vers la Suisse).
L’absence de répercussions économiques et financières majeures à court terme, a laissé les marchés des actions très indifférents. Si les petites et moyennes capitalisations cotées en bourse disposent de moyens suffisants pour assumer une hausse des coûts à l’exportation, il en va autrement des PME non cotées, de plus petite taille. Celles qui sont tournées vers l’exportation pourraient être amenées à s’organiser pour renforcer leur poids dans les négociations avec l’Europe et limiter la hausse des coûts administratifs. À moyen terme, un scénario de désagrégation des accords bilatéraux aurait un effet négatif sur la performance des actions suisses par rapport aux autres marchés.
Du côté obligataire, le différentiel des taux longs avec la zone euro devrait prévaloir. Enfin, sur le plan monétaire, le franc suisse, qui conserve tous ses attributs de valeur refuge, devrait rester plutôt fort.
L’accord-cadre est enterré, mais le dialogue n’est pas rompu pour autant. Les relations commerciales sont intenses (un milliard d’euros d’échanges par jour ouvrable) et les intérêts communs à coopérer multiples.
Le Conseil fédéral, déterminé à repartir sur de nouvelles bases, multiplie les démarches pour rester sur la voie bilatérale (déblocage de l’aide à la cohésion, analyse des bilatérales pour mise aux normes européennes). Le défi est de taille: préserver la compétitivité de l’économie suisse, tout en maintenant l’indépendance politique et institutionnelle du pays.
En attendant de trouver une nouvelle voie avec l’UE, le Conseil fédéral peut compter sur la résilience et la capacité d’adaptation, éprouvées, de l’économie suisse. Mais il devra aussi déployer des moyens pour la soutenir.
[1] Même si une demande d’adhésion à l’UE avait été déposée par la Suisse en 1992, pour finalement être retirée en 2016.
[2] 1) la libre circulation des personnes, 2) l’aviation civile, 3) les transports terrestres, 4) la reconnaissance mutuelle des normes industrielles et 5) les produits agricoles transformés.