Une nouvelle ère s’ouvre pour le marché japonais en plein mouvement de normalisation après des décennies, souvent qualifiées de perdues.
Le Japon a-t-il tourné la page des décennies perdues? Sa performance exceptionnelle du premier trimestre 2024 est riche en informations sur sa capacité à affronter les défis à venir sur les marchés. Retour aux actionnaires et investissements socialement responsables compris.
Le Japon a connu un début d’année boursier exceptionnel. Un coup d’œil à l’évolution de l’indice Nikkei 225 suffit à s’en convaincre. En mars, il a franchi la barre des 40 000 points, battant ainsi son record qui datait de… 1989. Une année historique qui voyait George Bush père à la présidence des États-Unis et Jean-Pascal Delamuraz à celle de la Suisse. Une année qui enregistrait aussi la chute du mur de Berlin ou encore l’apparition du web.
Autant dire que l’environnement dans lequel évolue actuellement la Bourse de Tokyo a, comme le monde, fondamentalement changé. La hausse du prix des actions résultait en 1989 d’une bulle spéculative. Aujourd’hui, les cours de bourse sont soutenus par des bénéfices qui ont triplé sur la période, malgré la chute due aux excès d’alors. Et, contrairement aux idées reçues, cette progression ne provient pas de la simple faiblesse du yen. La devise japonaise se situe quasiment au même niveau qu’il y a plus de trente ans contre le dollar (voir graphique ci-dessous).
Lorsque le Premier ministre Shinzo Abe a lancé sa politique des trois flèches – les Abenomics – en décembre 2012, l’indice Nikkei 225 affichait moins de 9 000 points. Son récent record résulte de la conjonction d’une politique monétaire expansionniste, d’une politique fiscale généreuse et de réformes structurelles. Une nouvelle ère s’ouvre pour le marché japonais en plein mouvement de normalisation après des décennies, souvent qualifiées de perdues.
L’économie japonaise se normalise. Le pays est enfin sorti de sa longue période de déflation. Et signal intéressant: les négociations salariales en cours montrent que les hausses seront particulièrement élevées cette année, éloignant le risque d’une nouvelle spirale de baisse des prix. Cette hausse pourrait par ailleurs soutenir une croissance malmenée notamment par la faiblesse de la demande intérieure dans un pays structurellement déstabilisé par la dénatalité. Les marchés enregistrent ainsi la fin de l’environnement déflationniste toxique pour les actions et se souviennent que l’évolution des bénéfices des sociétés est directement liée à celle du produit intérieur brut (PIB) exprimé en termes nominaux.
La politique monétaire se normalise. Dans ce contexte de stabilisation des prix, la Banque du Japon a décidé de mettre un terme à sa politique de taux d’intérêt négatifs. Elle va également arrêter ses achats d’actions et de fonds immobiliers. Cependant, en raison d’une croissance atone, elle tient à demeurer très accommodante avec des taux directeurs proches de zéro, soit largement au-dessous du niveau de l’inflation. La banque centrale ne devrait ainsi pas procéder à des resserrements monétaires successifs tant que l’activité ne s’affirme pas davantage.
La gouvernance d’entreprise se normalise. Dans l’archipel, l’approche occidentale de la gestion d’entreprise gagne du terrain. La maximisation des profits n’est plus considérée comme une maladie honteuse, les participations croisées sont réduites et le cash excédentaire est redistribué aux actionnaires. Un exemple de cette évolution: le rendement des fonds propres, pris en considération désormais par un nombre croissant de managers. Le fait que les investisseurs institutionnels, tant japonais qu’occidentaux, doivent voter aux assemblées générales et publier leurs choix n’est bien sûr pas étranger à ce changement de paradigme. Pour la note de durabilité des portefeuilles, le marché japonais poursuit ainsi l’amélioration des critères liés à la gouvernance.
Dans cet environnement d’amélioration drastique de la rentabilité des entreprises, la décote appliquée aux sociétés japonaises depuis de longues années se réduit peu à peu. Les indices progressent. Le Nikkei a gagné plus de 40% durant l’exercice 2023-2024. Le Topix, moins concentré sur les grandes valeurs, affiche encore un potentiel de rattrapage. Il a pris 18% entre janvier et mars. Et même si un tel rythme n’est guère soutenable sur le long terme, un niveau de valorisation raisonnable, ainsi que des bénéfices en progression constituent un socle d’appui pour une poursuite potentielle du retour des valeurs japonaises.
Le marché du Soleil levant n’est bien sûr pas à l’abri de vents contraires. Outre un éventuel coup de frein conjoncturel mondial violent, ce qui n’est pas notre scénario, les risques résident notamment dans une appréciation rapide du yen. Ce pourrait être le cas si la Réserve fédérale venait à baisser ses taux plus rapidement que prévu. Un scénario moins vraisemblable actuellement qu’une détente graduelle de la politique monétaire américaine. Autre nuage à plus brève échéance: la publication des résultats annuels des sociétés. Leur vigueur devrait se confirmer, mais l’annonce de prévisions prudentes pour la nouvelle année pourrait soulever quelques inquiétudes. Un excès de faiblesse du marché à cette occasion offrirait une opportunité aux investisseuses et aux investisseurs encore sous-exposés aux actions japonaises, de compléter leurs positions.
À Tokyo, les valeurs financières pourraient tirer profit de la normalisation de la politique monétaire et les actions industrielles bénéficier de prévisions optimistes pour la conjoncture mondiale. En revanche, l’environnement ne devrait pas s’avérer porteur pour les secteurs défensifs comme la consommation de base et les entreprises pharmaceutiques.
Un nouveau chapitre semble ainsi s’ouvrir pour les actions japonaises. Elles redeviennent une vraie source de diversification à l’heure de la cherté des actions américaines ou de la crainte suscitée par les marchés chinois.
Article paru dans Indices de L'AGEFI, le 19.04.2024