Adrien Treccani est convaincu que le Bitcoin est la technologie de demain et que ses diverses applications bousculeront l’industrie financière.
Ingénieur EPFL et candidat PhD au Swiss Finance Institute, Adrien Treccani est Chief Operating Officer de Metaco SA , une société fournissant aux institutions financières des services technologiques basés sur le blockchain de Bitcoin. En Suisse, il est l’une des références en la matière.
Adrien Treccani : Le champ des applications est vaste. On peut par exemple échanger des monnaies ou des actions. Le marché de la remittance (envoi d’argent à l’étranger), notamment, est une industrie en train de se développer très rapidement, car les transactions sont instantanées, gratuites et à l’échelle mondiale. Mais le système peut être utilisé aussi pour échanger n’importe quel titre de propriété qui peut se vendre sous forme de contrat, par exemple une maison, un contrat sur de l’or ou une fréquence hertzienne. Il serait aussi possible d’utiliser cette base de données pour y conserver une preuve de propriété, par exemple d’une invention ou d’un roman, à la façon des brevets ou des droits d’auteur. En effet, il ne faut pas oublier que le Bitcoin n’est pas qu’une monnaie fluctuante, c’est surtout une base de données comptable qui permet de savoir à tout instant qui détient quoi. Le grand pari des investisseurs qui croient au Bitcoin est de dire qu’à terme, c’est la technologie plutôt que la monnaie spéculative qui va être utilisée par l’industrie financière actuelle (transferts de fonds interbancaires, trading, bourses). Dans ce scénario, au lieu d’avoir des bitcoins dans un portefeuille virtuel, on y stockerait toutes sortes de titres de propriété ou de contrats. A l’avenir, on pourrait donc trouver dans la base de données tous les types d’actifs qu’on trouve dans l’industrie financière traditionnelle. Il s’agit précisément du service fourni par la technologie de Metaco.
Je pense qu’il va devoir s’accommoder de ce système parallèle, qui permet d’utiliser l’efficacité du réseau sans être du tout sujet à la volatilité de la monnaie bitcoin. C’est très probablement l’avenir de la technologie. Il y a des montants colossaux qui sont investis aujourd’hui dans les start-up qui développent ce genre de technologie et ses aspects. Bien entendu, c’est encore de la musique d’avenir, mais il est très probable que, si le Bitcoin se démocratise, les utilisateurs se mettront à échanger des actifs très diversifiés directement sur le blockchain, donc sans l’intervention des banques, des bourses ou des autres intermédiaires habituels qui risquent de perdre des parts de marché.
A mon avis, à terme, elles devront s’adapter et proposer des services utilisant la technologie Bitcoin car elles vont se retrouver face non seulement à la concurrence « habituelle » d’établissements financiers telle qu’on la connaît aujourd’hui, mais aussi à de nouveaux arrivants : des entreprises spécialisées utilisant la technologie Bitcoin, qui vont offrir un service d’épargne, de transfert et petit à petit aussi de trading, et tout ceci gratuitement. Il est donc vraisemblable que les banques s’aligneront et proposeront le même type de services. Elles devront certainement mettre à jour une partie de leur technologie pour s’adapter au système Bitcoin. Néanmoins, une fois qu’elles auront intégré ces outils, elles vont elles-mêmes gagner en efficacité et pourront interagir avec toutes les entreprises qui font du Bitcoin.
Une autre option qui s’offre aux banques, beaucoup plus proche du modèle bancaire traditionnel, est celle de la conservation. Comme le savez, le système Bitcoin permet d’agir de manière totalement autonome et anonyme, mais ce modèle présente des contraintes et des risques, notamment au niveau de la sécurisation des clés privées. Or, je pense qu’à l’avenir, l’utilisateur lambda, qui n’est généralement pas un expert en sécurité informatique, préférera limiter les risques et passer par un tiers qui, lui, a les compétences sécuritaires, mais aussi bancaires, pour stocker et gérer ses fonds. C’est ici que les banques devraient saisir l’opportunité de se différencier grâce à des conseils personnalisés.
Je ne pense pas que les banques vont disparaître. Les deux systèmes vont exister en parallèle. Par contre, le Bitcoin va forcer les banques à se restructurer sur certains aspects. Certaines sources de revenus aujourd’hui ne le seront vraisemblablement plus à l’avenir. A mon avis, les banques devraient s’intéresser d’ores et déjà à la technologie, à son potentiel, mais aussi à ses défauts pour en tirer parti, ne pas être prises de court et avoir le temps de s’adapter. D’ailleurs, en discutant avec les banques aujourd’hui, je me rends compte que l’intérêt est flagrant. Si le marché suisse est encore un peu frileux, aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Royaume-Uni, les banques sont très à la pointe. Pour l’instant, aucune ne propose d’applications concrètes grand public, mais je sais de source sûre que plusieurs banques travaillent à l’heure actuelle spécifiquement sur le Bitcoin.
A ce jour, je dirais que c’est en ébullition du point de vue de l’entreprenariat. Le développement des start-up qui font du Bitcoin est en très forte croissance dans notre pays. Quelques entreprises étrangères, comme p.ex. Xapo, se sont installées en Suisse, parce que l’économie et le climat politique sont stables. En ce qui concerne le secteur financier, certaines banques, dont UBS et Credit Suisse, n’ont pas caché qu’elles s’intéressent très concrètement au Bitcoin, mais il est difficile de savoir quels moyens elles ont engagés dans la recherche et le développement de solutions. Quant à l’impact du Bitcoin sur le grand public et la vie quotidienne dans notre pays, je dirais qu’il est pratiquement inexistant pour l’heure. Certains ont les moyens d’acheter quelques bitcoins pour s’amuser à spéculer, mais le système lui-même reste encore peu connu même si, personnellement, je suis convaincu qu’il s’agit de la technologie de demain.
Belen Tartaglia rédactrice, BCV