Le fonctionnement du viager nécessite de s'appuyer sur des spécialistes, car il n'existe pas de dispositions légales précises.
Avec 38,4% de propriétaires en Suisse en 2015, selon l’Office fédéral de la statistique, et une certaine incertitude relative au maintien du niveau de vie à la retraite, la vente immobilière en viager paraît être une solution satisfaisante pour les retraités recherchant un financement complémentaire et pour les personnes souhaitant acquérir un bien en bénéficiant des taux d’intérêt actuels. Son fonctionnement mérite toutefois réflexion et nécessite de s’appuyer sur des spécialistes, car il n’existe pas de dispositions légales précises.
La vente immobilière en viager consiste à vendre un immeuble avec un paiement différé, après le transfert du bien au nom de l’acquéreur. Celui qui achète verse au vendeur un montant (le bouquet) à la signature du contrat et le solde au moyen d’une rente viagère. Le vendeur continue de jouir de l’immeuble sous la forme d’un droit d’habitation.
La négociation qui préside à la signature de ce contrat de vente immobilière, obligatoirement notarié, doit définir les frais d’entretien que le vendeur acquitte ou non pendant le viager. L’acheteur n’acquiert donc que la propriété juridique du bien immobilier, sans pouvoir de disposition sur celui-ci pour la durée de l’occupation du vendeur.
Ainsi, si vous vendez votre bien immobilier en viager, vous devenez titulaire de ce droit et vous pourrez résider dans votre actuel logement jusqu’à votre décès, mais, contrairement à un droit d’usufruit classique, vous ne pourrez pas louer le bien à un tiers ni céder votre droit d’habitation.
Il y a des avantages…
En tant que vendeur, vous obtenez le bouquet en un seul paiement à la signature de l’acte et vous pouvez en disposer librement. Vous pourrez par exemple rembourser vos dettes et bénéficier d’un financement complémentaire si vous veniez à séjourner en EMS. En outre, les rentes pourront vous donner accès à de meilleures conditions de vie, et ce sans limite de durée.
L’acquéreur, quant à lui, bénéficie d’un avantage financier: l’opportunité d’acheter un bien avec une réduction de prix qui compense, en principe, l’absence de date butoir pour disposer de ce bien. Toutefois, il ignore la durée de son obligation de versement des rentes et donc le coût réel de son achat.
et aussi certains obstacles
Le viager est un contrat aléatoire: la vente ne devient parfaite que lors du décès du vendeur, à une date indéterminée mais à la survenance certaine.
Surgit alors une difficulté d’ordre moral: soucieux de ses finances, l’acquéreur espère le décès de son cocontractant pour se dégager de ses obligations contractuelles et disposer du bien.
Il existe aussi une difficulté liée à la détermination du bouquet. En l’absence de disposition légale précise, il est recommandé de solliciter le concours d’un spécialiste en immobilier pour fixer la valeur vénale du bien et le montant du bouquet, mais aussi un actuaire pour calculer le montant de la rente (valeur capitalisée du droit d’habitation). Il est aussi judicieux de recourir à un spécialiste fiscal en raison de l’impact de cet engagement sur l’imposition: la date de signature de l’acte (et non celle du décès) est prise en compte par l’administration fiscale pour déclencher le processus d’assujettissement.
Le montant du bouquet a un impact fiscal souvent négligé. D’une part, le bien vendu est souvent grevé d’un prêt hypothécaire dont la résiliation occasionne une pénalité qui constitue une impense pour le vendeur non déductible des revenus et, d’autre part, le bénéfice réalisé est soumis à l’impôt sur les gains immobiliers.
Les revenus que vous percevrez (valeur estimée du droit d’habitation ou valeur locative du bien en cas de droit d’usufruit) sont soumis à l’impôt fédéral et cantonal à hauteur de 40% (taux fixe, article 22 alinéa 3 LIFD et article 26 alinéa 2 LI-VD dans le canton de Vaud) ; les frais d’entretien seront déductibles, sous réserve de plafonnement. Il semble donc préférable de soumettre aux autorités fiscales les calculs relatifs aux gains immobiliers (payables par le vendeur à la signature du contrat) et aux droits de mutation (à la charge de l’acheteur, calculés sur le montant global).
Rôle déterminant du notaire
S’agissant d’une vente, le viager est nécessairement conclu en la forme authentique devant un notaire, dont le rôle est déterminant. En effet, la loi vaudoise sur le notariat (article 40 alinéa 1) met à sa charge une obligation générale de diligence dans la sauvegarde des intérêts des parties et lui impose une obligation «d’accomplir tous les procédés, opérations et formalités préalables» (article 41).
Garant de l’équilibre contractuel, le notaire doit fixer rigoureusement les conditions du viager, par exemple l’étendue du droit d’habitation, le droit de retour au domicile en cas de séjour temporaire en établissement médicosocial, la surface habitable, la répartition des charges de la PPE, etc.
Dans le cadre d‘un contrat innommé, le Tribunal fédéral a admis «qu’en cas d’insuffisance de rigueur quant aux droits et obligations de chacun, le juge devra ensuite compléter le contrat en envisageant ce que les parties auraient convenu selon le principe de la bonne foi en affaires (…)». Ainsi, en cas de litige avec l’acheteur, vous aurez la possibilité de soumettre votre contrat de vente immobilière en viager à l’interprétation du juge, avec le risque d’aléa judiciaire. Il est donc important que les négociations aient été fondées de manière à conclure un contrat équilibré pour les deux parties.
De même, afin de limiter l’impact d’éventuels impayés de rentes, il semble judicieux que le notaire insère un droit de réméré dans l’acte, qui vous permet de conserver la faculté de racheter le bien dans un délai défini par le contrat, limité à 25 ans (à condition d’être annoté dans le Registre foncier). L’insertion d’une clause résolutoire dans le contrat doit permettre de protéger le vendeur en permettant l’annulation de la vente et la conservation des rentes réglées à titre d’indemnisation du préjudice, nonobstant les frais de justice souvent conséquents.
Par nature, le viager n’est donc pas un mauvais montage, à condition de s’entourer de spécialistes, de fixer clairement les conditions contractuelles et de s’engager en toute connaissance de cause.
Bon à savoir
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Cet article doit beaucoup à Me Bertrand Chenevard, à ses conseils avisés, ses remarques éclairées et l’attention vigilante qu’il a bien voulu porter à sa relecture.
Publié dans Générations en mai 2018