La table ronde des Rendez-vous des CFO a réuni le conseiller fédéral, Guy Parmelin (à droite) et, de gauche à droite, le CEO de Gaznat, René Bautz, le CEO de Romande Energie, Christian Petit, et la CEO d'Alpiq, Antje Kanngiesser.
Les tensions géopolitiques contribuent à nourrir l’inflation et les incertitudes énergétiques. Devant une centaine de directeurs financiers (CFO) réunis par la BCV pour sa manifestation annuelle, le Rendez-vous des CFO, le conseiller fédéral Guy Parmelin, chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche, a pointé les enjeux stratégiques du moment. Avant d’échanger avec Antje Kanngiesser, CEO d’Alpiq, Christian Petit, CEO de Romande Energie et René Bautz, CEO de Gaznat. Une discussion franche et nourrie. Morceaux choisis.
L’inflation représente l’inquiétude majeure des entreprises, suivie de près par les conflits géopolitiques et les cyberrisques. Une inquiétude nourrie par la crise ukrainienne, qui a entraîné une hausse exponentielle des prix de l’énergie et donc des coûts de production des biens et services. Guy Parmelin, dont le département a été chargé de faire face aux pénuries d’électricité et de gaz, estime cependant qu’il y a de quoi être aujourd’hui plus «serein»que l’hiver dernier, en matière de gestion des ressources. «Des ordonnances ont été édictées. La Confédération a organisé le stockage d’énergie, la consolidation des réserves, le soutien aux entreprises de production en cas de défaillance des partenaires ou d’explosion des prix.» De plus, ajoute le conseiller fédéral, un travail conséquent a été effectué «par les cantons, les communes, le secteur privé. Une réelle prise de conscience a eu lieu». Du côté des entreprises, une alliance dédiée est née, pour regrouper les firmes s’engageant à réaliser des économies d’énergie, la BCV en est d'ailleurs membre.
Plus d’inquiétude à avoir, donc? Au contraire. Si le degré de préparation à une crise énergétique est meilleur, cette situation n’a fait que mettre en lumière la dépendance de la Suisse à la stratégie énergétique de ses voisins. Et de rappeler les mutations profondes en cours. «Nous vivons un changement de système d’exploitation de l’ordre géopolitique mondial», a résumé Guy Parmelin, qui estime ce tournant aussi important que «la conflagration de 1989». Si la Suisse a su tirer son épingle du jeu après la chute du Mur de Berlin, elle devra, dans la période de pesées d’intérêts nouvelle et délicate qui s’ouvre aujourd’hui pour elle, continuer à «faire jouer ses atouts au bon moment» pour se frayer un chemin entre les blocs qui émergent.
Dans ce cadre nouveau, a pointé Christian Petit, CEO de Romande Energie, «les fondamentaux restent instables». Autrement dit, les enjeux énergétiques n’ont pas disparu, au contraire, ils se sont transformés. «La situation actuelle peut paraître favorable. Mais elle peut changer rapidement, il suffit d’un problème technique, d’une pénurie d’approvisionnement, pour que de nouvelles tensions naissent», explique René Bautz, CEO de Gaznat. Quant aux prix de l’énergie, qui ont diminué et se sont stabilisés depuis le début du conflit ukrainien, «ils restent deux à trois fois plus chers qu’avant», résume Christian Petit. Pour le gaz «l’évolution des prix dépendra des possibilités de diversification et de se raccorder à d’autres sources plus compétitives», décrit René Bautz.
Que peuvent faire les entreprises dans ce contexte? «Fixer des prix à l’avance, les bloquer au moyen de hedging, choisir des contrats à long terme avec des indexations diversifiées», explique René Bautz. «Tout sera plus volatil». Les énergies renouvelables ou le gaz naturel liquéfié impliquent des fluctuations de prix. Dans le cadre qui s’ouvre pour les trente ans à venir, «on va passer d’un monde de coûts opérationnels à un monde de coûts d’investissements», estime Antje Kanngiesser, CEO d'Alpiq. Ce qui implique des prix élevés et variables. «C’est donc à chacun de réfléchir: quel est mon portefeuille d’énergies? Est-ce que je choisis des contrats fixes, flexibles ou j’investis dans ma propre production? Il faut approcher tout cela avec une stratégie», a-t-elle conseillé aux CFO présents.
En effet, «les entreprises ne doivent pas cesser de se préparer, de s’équiper. Chaque hiver doit être utilisé» dans le but de faire reculer un peu plus le risque de subir délestages et pénuries, a complété Christian Petit. Enfin, «organiser des structures de gestion de cellules de crises, entraîner des scénarios pour être prêts à des restrictions», reste essentiel pour toute organisation, souligne René Bautz.
Bien entendu, l’enjeu de l’autonomie énergétique est politique. Les défis climatiques s’ajoutant aux enjeux géopolitiques, des investissements pour moderniser les infrastructures vont être nécessaires et impliquer des arbitrages peu agréables et polarisants. Antje Kanngiesser a souligné le volontarisme de la Suisse d’après-guerre, où un «sentiment d’urgence» a permis de réaliser des aménagements hydroélectriques «visionnaires». Elle appelle à une information plus large de la population sur ces défis et leurs conséquences potentielles.
Interpellé sur un potentiel «manque d’ambition» étatique, une absence de soutien aux entreprises énergétiques lors de crises récentes, et la «lenteur» de certains projets d’aménagement freinés par l’abondance de règlements, Guy Parmelin a expliqué comprendre les frustrations du monde économique, et rappelé quelques fondamentaux. D’abord qu’en situation de crise «une politique de subvention à moyen-long terme est insoutenable pour l’État, car c’est le consommateur qui va payer». Mais aussi que «le Conseil fédéral utilise la marge de manœuvre qu’on lui donne» et travaille «avec les instruments dont il dispose».
Si le Conseil fédéral a mis en place une stratégie énergétique pour 2050, d’autres acteurs, notamment des entreprises appartenant aux cantons, ont aussi leur rôle à jouer. S’il a reconnu un certain «perfectionnisme» helvétique qui freine des projets, Guy Parmelin a aussi rappelé l’importance du «compromis», dont les inconvénients permettent aussi d’éviter certaines erreurs. Mais face à ces enjeux énergétiques toujours plus prégnants, le conseiller fédéral a rejoint les participants sur un enjeu clé: la «sensibilisation essentielle du public». «Chaque contribution individuelle dans le domaine est une pierre à l’édifice».