Dans le cadre d'une PPE, les rénovations énergétiques concernent principalement les parties communes. Pour entreprendre des travaux, il est donc nécessaire de trouver un consensus entre propriétaires.
Face aux enjeux de la transition énergétique, le secteur immobilier évolue vite, soumettant les acteurs de la branche à de nouvelles exigences. David Michaud, économiste immobilier à la BCV, analyse l'impact de ce changement de paradigme dans un article paru dans Le Temps.
Face à des exigences sociales, réglementaires ou légales croissantes en matière de durabilité, le secteur de l'immobilier est confronté à des choix cornéliens. Une mutation qui touche aussi bien les propriétaires privés et institutionnels que les locataires. Pour en savoir plus sur cette nouvelle dynamique, et afin de pouvoir anticiper ses effets à court, moyen et long termes, David Michaud, économiste immobilier à la BCV, nous livre son analyse. Interview.
Le Temps: Au niveau fédéral, quelle est l'impulsion en matière de durabilité donnée aux acteurs immobiliers?
David Michaud: Concrètement, les nouvelles exigences légales qui entrent en vigueur actuellement, et qui vont aller en se renforçant, se jouent surtout à l'échelle cantonale. Bien sûr, au niveau fédéral, l'impulsion de base reste forte. Rappelons par exemple que la révision de la loi fédérale sur le CO2, rejetée par le peuple en 2021, visait à interdire les énergies fossiles pour la production de chaleur dans les nouveaux bâtiments ou encore à exiger des valeurs seuils en matière d’émissions de CO2 lors du remplacement d’une production de chaleur par une nouvelle issue de combustibles fossiles. Ce texte a laissé des traces dans les discussions en cours que ce soit sur le plan fédéral ou sur le plan cantonal.
À l'échelle des cantons justement, comment se traduit concrètement cette tendance?
Dans le canton de Vaud, on peut déjà rappeler qu'il est obligatoire d'établir un Certificat énergétique cantonal des bâtiments (CECB) lors de toute transaction immobilière. Il en va de même lors du remplacement d’un système de chauffage par un nouveau qui fonctionne au gaz, au mazout ou au charbon. À l’instar de ce qui existe pour les appareils électroménagers, le CECB note les performances énergétiques d'un ouvrage. Ce qui permet de sensibiliser les propriétaires et les repreneurs sur l’efficacité du bâti, tant au niveau de la capacité thermique de l’enveloppe que des émissions générées par la production de chaleur. La révision de la loi vaudoise sur l’énergie est par ailleurs en consultation pour proscrire, sauf exception, le recours aux énergies fossiles pour la production de chaleur. Dans sa version en vigueur, des valeurs minimales sont exigées en matière d'isolation thermique, tant pour les nouvelles constructions que pour les assainissements. À Genève, une dynamique similaire est déjà en place, en utilisant un outil de calcul basé sur l'indice de dépense de chaleur (IDC), dont le seuil est fixé à 125 kWh/m2 par an depuis le 1er septembre 2022. Au-delà de ce seuil, les autorités genevoises exigent un assainissement énergétique. Il ne faut par ailleurs pas oublier que les propriétaires peuvent bénéficier, selon la nature des assainissements, de subventions cantonales, voire parfois communales.
Pour un propriétaire privé, quels sont les risques de ne pas assainir son immeuble sur le plan énergétique?
Les risques sont multiples. Signalons tout d’abord que les propriétaires doivent actuellement faire face à la hausse des coûts des matériaux – inflation, pénurie, etc. – et au manque de main-d’œuvre dans certains secteurs. Une situation dont on ignore la durée, même si l’inflation est appelée à refluer. Le fait de retarder l'échéance de travaux de rénovation énergétique pourrait en outre impliquer de ne plus pouvoir profiter des programmes d'aide et de subventions en place, si leurs conditions d’attribution venaient à évoluer. Les propriétaires bénéficient actuellement d'une fenêtre stratégique pour opérer la mue durable de leurs biens. Autre risque: la dévalorisation de leur bâtiment. Notamment si le marché de l’immobilier venait à se détendre. Beaucoup dépend en fait de si l’on est propriétaire à l’usage ou à la location; la rentabilité des investissements aura là encore des impacts différents.
Qu'en est-il pour la PPE?
La pression est la même, avec une différence de taille: dans le cadre d'une PPE, les rénovations énergétiques concernent principalement les parties communes, comme les façades, la toiture ou la production de chaleur. Pour entreprendre des travaux, il est donc nécessaire de trouver un consensus entre propriétaires.
Et les propriétaires institutionnels?
Pour les propriétaires institutionnels, les rénovations énergétiques posent notamment la question du retour sur investissement – jusqu’où peuvent-ils adapter les loyers? – et de la valorisation de leurs biens. Les changements légaux et la dynamique qui les sous-tend impliquent en outre un enjeu réputationnel, en particulier pour les fonds immobiliers. Ces fonds sont toujours plus fortement incités à publier leur empreinte carbone. Certains le font d’ailleurs déjà. Les caisses de pensions devraient suivre la tendance. Les performances énergétiques vont donc progressivement occuper une place toujours plus centrale dans l'évaluation et le suivi des acteurs immobiliers, tout comme leur respect des critères sociaux ou de gouvernance.
Y a-t-il également un risque du côté des locataires, qui pourraient exiger des propriétaires un certain niveau de performance énergétique du bien loué?
C'est tout à fait envisageable. En théorie, un locataire pourrait peut-être invoquer le défaut de la chose louée en cas d’obsolescence énergétique manifeste. S'il n'y a pas encore de cas concret à ce jour, la pression exercée sur les acteurs de la branche immobilière pourrait aussi être exacerbée par les préoccupations, les demandes et les droits des locataires. En France, mentionnons par exemple qu'en dessous d'une certaine performance énergétique, certains biens ne pourront plus être proposés sur le marché locatif.
Pour revenir aux rénovations énergétiques, vaut-il mieux améliorer l'existant ou tout reconstruire?
C'est une question essentielle pour tout propriétaire et l’arbitrage devrait s’effectuer tant sur des critères économiques que de durabilité. Le résultat dépend de nombreux facteurs, tels que la performance énergétique de l’existant, de l’empreinte carbone des travaux envisagés, de l’usage des locaux, mais également d’éventuelles réserves constructibles. Sans oublier l’évolution des exigences en matière de mesure du poids énergétique d’un bâtiment. Au cœur de la discussion, figure notamment la prise en compte ou non de l’énergie grise, soit les émissions générées par la fabrication, le transport et la mise en place des matériaux de construction, ainsi que celles liées à son cycle d’utilisation. Sa prise en compte peut influer de manière substantielle sur l’empreinte carbone d’un bien ou d’un parc immobilier. Pour prendre en compte l’impact des caractéristiques durables dans l'évaluation financière d'un bien, il devient nécessaire de développer de nouveaux outils de calcul et d'analyse. Ces études sont en cours, avec par exemple les recherches autour de la valeur verte, soit la valeur ajoutée de ces caractéristiques.
Comment se traduit cette dynamique de rénovation énergétique sur les loyers?
L'impact se mesure sur les charges et sur le loyer. Un bien rénové énergétiquement va nécessiter moins d'énergie pour le chauffer. Par conséquent, ses charges devraient diminuer. Dans le droit suisse, les assainissements énergétiques sont par ailleurs assimilés à des travaux à plus-value. Leurs coûts peuvent donc être reportés dans une certaine mesure – en intégrant les éventuelles législations cantonales – sur les loyers, qui peuvent ainsi augmenter. Dans le même temps, un bien rénové, donc plus performant du point de vue énergétique, devrait voir sa valeur de marché progresser. Du fait cumulé de la forte attractivité de l’immobilier de rendement durant la période des taux négatifs et d’un taux de vacance qui reste bas, cet effet n'est pas encore très important aujourd'hui, mais pourrait se manifester de manière plus significative à l’avenir, surtout si le marché venait à se détendre.
Propos recueillis par Thomas Pfefferlé