Une stratégie ESG dans un portefeuille combine souvent les trois familles d’approches: les approches d’actionnaires, les exclusions et l’intégration.
L’investissement durable gagne du terrain dans les portefeuilles. Avec quelles conséquences sur la gestion du risque? La réponse diffère selon l’approche introduisant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance choisie.
En Suisse, dans la gestion institutionnelle, l’intégration des approches ESG, prenant en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, avance. La thématique durable devient, de fait, de plus en plus importante. D’ailleurs, la loi sur le CO2, s’il elle acceptée par le peuple, obligera la Finma à mesurer les risques climatiques de la place financière suisse. Quant à la régulation européenne, en plein développement, elle prévoit déjà les outils de mesures (taxonomie verte) ainsi que des moyens pour mettre en place une gestion respectant les accords de Paris, sous la forme de benchmarks appropriés.
Pourtant ce mouvement vers plus de durabilité oublie souvent la question de son impact sur la gestion du risque. On aimerait pouvoir résumer simplement «l’ESG surperforme», qui plus est en période de crise. Or la réalité est plus compliquée. D’une part, les données dans ce domaine sont encore lacunaires, et, d’autre part, il est impossible d’obtenir un historique sur le long terme. Les données carbone des sociétés cotées, par exemple, ne sont disponibles que depuis quelques années.
Pour un investisseur institutionnel, l’aspect du risque, en plus de la performance, est pourtant absolument primordial, et doit être géré. Rappelons que dans la pratique, ce risque correspond au degré de non-alignement d’un portefeuille sur son benchmark. Ce dernier est représentatif du marché financier sous-jacent, dans lequel le portefeuille est investi. Le risque se mesure en général en termes de tracking error, qui correspond à la déviation attendue de performance entre le portefeuille et son benchmark.
Il est bon aussi de rappeler que le souci principal des caisses de pensions aujourd’hui est leur capacité à délivrer les rentes prévues, malgré l’accroissement de la durée de vie de leurs assurés ainsi que la baisse des rendements obligataires. Elles ne sont donc pas disposées à basculer leur gestion dans une approche ESG, si cela a pour conséquence d’ajouter du risque. Mais toutes les approches engendrent-elles le même niveau de risque? Rappelons tout d'abord que les approches ESG peuvent être classées en trois familles: les approches d’actionnaires, les exclusions et l’intégration.
Les approches d’actionnaires consistent à voter systématiquement aux assemblées générales des sociétés investies, voire à entreprendre un engagement actionnarial. Le vote nécessite en général le recours à des proxy voters, des conseillers en droit de vote qui fournissent des recommandations basées sur une analyse des points de l’ordre du jour sous l’angle des règles de bonne gouvernance. L’engagement actionnarial va plus loin et vise à établir un véritable dialogue avec la société investie sur des sujets liés à la durabilité, notamment le climat. Ce dialogue se fait en général par le biais de grandes initiatives – à l’instar de Climate Actions 100+ – qui regroupent de nombreux investisseurs, obtenant ainsi un puissant pouvoir de négociation avec les sociétés investies.
Au-delà de son impact ESG, qui est certainement le meilleur parmi les différentes méthodes, l’approche actionnariale a un avantage majeur sur le plan du risque. Elle conserve les titres en portefeuille – condition nécessaire pour pouvoir voter et dialoguer – ce qui ne modifie pas leur gestion prudentielle. La démarche engendre un coût, qui concerne le proxy voter et l’adhésion aux initiatives, mais il est en général assez minime.
L’approche par exclusions est en quelque sorte l’inverse de l’engagement actionnarial. Elle consiste à exclure du portefeuille les activités ou les sociétés dont le comportement pose problème. En termes ESG, l’impact est faible. La solution, qui consiste à vendre les titres à un autre investisseur, ne change rien au problème traité. En revanche, l’impact peut être très important s’agissant du risque. On peut l’estimer grossièrement à un dixième de pourcentage de tracking error additionnel par pourcentage exclu. Pour une gestion institutionnelle, cet écart peut devenir énorme, et difficilement supportable, lorsque des secteurs entiers, comme les énergies fossiles, sont exclus.
La troisième approche se situe entre les deux premières, que ce soit sur le plan ESG ou du risque. L’intégration vise en général à améliorer un score ESG global du portefeuille, tout en tenant compte du risque induit. Cette approche peut se faire de plusieurs façons: best-in class, qui retient les meilleurs élèves de chaque secteur; par repondération, qui garde tous les titres, mais repondère chacun d’entre eux en fonction de leur note ESG; utilisation d’indices ESG, qui consiste à changer d’indice de référence pour un indice offrant des caractéristiques de risque similaires à l’indice parent, mais avec un profil ESG supérieur. D’un point de vue ESG, on favorise les meilleurs et sur le plan du risque, la démarche se fait en tenant compte de l’impact sur le portefeuille.
Une stratégie ESG de qualité combine souvent les trois familles d’approches. Elle consiste à voter pour les titres investis, à mettre en place une démarche d’engagement, à limiter les exclusions aux activités et comportements vraiment problématiques et finalement à viser l’amélioration du score ESG du portefeuille par une approche d’intégration. Mais quelles que soient la stratégie suivie et les approches appliquées, la notion de risque, mesurée par le tracking error, devra toujours faire partie de l’équation. C’est à cette condition que les caisses de pensions pourront intégrer durablement ces paramètres dans leur gestion.
Cet article a paru dans Indices de L'AGEFI le 16 octobre 2020
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