Voix dissonantes à la BCE sur l'annulation de la dette publique européenne.
La dette publique de la zone euro détenue par la BCE s’élève à environ 2 500 milliards d’euros. D’aucuns appellent à son annulation et le sujet fait débat depuis près d’une année. Mais l’affaire est complexe.
Le 5 février dernier, une centaine d’économistes publiaient dans neuf journaux européens, dont Le Monde, El País, La Libre Belgique, Der Freitag et L’Avenir, un article invitant la Banque centrale européenne (BCE) à effacer une partie de la dette publique qu’elle détient depuis le début de la crise du COVID-19 ou à la convertir en dette perpétuelle sans intérêt. Selon ces économistes, le montant de cette dette publique s’élève aujourd’hui, pour l’ensemble de l’Europe, à près de 2 500 milliards d’euros, et son annulation ou sa reconversion pourrait se faire en échange de l’engagement des pays de l’Union européenne (UE) à investir les mêmes montants dans leur reconstruction écologique et sociale au travers d’investissements durables et à long terme.
Le débat autour de la faisabilité de l’annulation par les banquiers centraux de la dette en question n’est pas nouveau, car le sujet a déjà été discuté à plusieurs reprises depuis mars 2020. Les économistes en faveur de l’initiative craignent surtout qu’une telle réduction de la dette publique soit assujettie à de nouveaux régimes d’austérité et que cela soit nuisible aux économies de la zone euro, qui connaissent déjà de grandes difficultés.
De leur côté, plusieurs membres de la BCE se sont opposés à cette idée et, récemment, sa présidente, Christine Lagarde, a réaffirmé, dans un entretien au Journal du dimanche (7 février 2021), qu’une telle proposition serait «inenvisageable» et qu’elle serait même contraire au Traité européen qui interdit strictement tout genre de financement monétaire aux pays de l’UE. Les partisans de l’annulation de la dette, quant à eux, soutiennent que cette règle est obsolète, car les pressions inflationnistes sont quasiment inexistantes. Pourtant, juridiquement, seul l’accord unanime des pays faisant partie du Conseil européen pourrait permettre un tel changement.
Et l’effort politique requis risque de ne pas en valoir la chandelle. En effet, à ce jour, les gouvernements européens, inclus celui de la Grèce, empruntent à des taux d’intérêt très bas, voire négatifs. Dans ce contexte, l’annulation de la dette ne serait pas forcément la seule condition sine qua non pour investir davantage dans la transition climatique, par exemple. Comme le soulignent Christophe Blot et Paul Hubert, chercheurs au sein de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), dans leur étude «De la monétisation à l’annulation des dettes publiques, quels enjeux pour les banques centrales?» (9 novembre 2020), selon l’organisation de cette annulation et la manière de la communiquer, on pourrait craindre toutes sortes de comportements irrationnels qui pourraient mettre en péril le projet.
On pourrait assister, par exemple, à une perte de confiance des investisseurs privés, craignant de faire aussi l’objet d’une annulation, qui pourrait provoquer une augmentation des primes de risque et des difficultés à financer de nouvelles émissions de dette publique. Afin d’éviter cela, l’Europe devra rechercher des stratégies plus efficaces, comme une révision des règles budgétaires de l’UE.
Par Tiziana Durante, négociatrice obligations et taux, BCV
Publié dans le commentaire hebdomadaire "Matinale Express - Actions" de la salle des marchés de la BCV, le 23 février 2021