L'entreprise allemande Birkenstock a été reprise par un fonds de private equity avant d'entrer en Bourse en 2023.
Longtemps l’apanage des grands institutionnels, les investissements dans les sociétés non cotées se démocratisent. La hausse des taux remet la qualité des projets au cœur d’une démarche de financement clé pour l’économie réelle.
Dans l’univers des placements alternatifs, les investissements privés sont progressivement sortis de l’ombre des hedge funds depuis la crise financière de 2008. Aujourd’hui, malgré le retour compétitif des actifs traditionnels depuis la hausse des taux, les fonds d’investissement privés continuent de séduire leur base traditionnelle que sont les investisseurs institutionnels tout en tentant de la diversifier auprès d’une clientèle privée. Leur proposition reste principalement inchangée: la participation au financement d’un actif privé, généralement une société non cotée pour le private equity, avec un objectif de rendement supérieur à celui attendu sur les marchés publics.
Malgré ses conséquences néfastes, la crise de 2008 s’est avérée bénéfique aux financements alternatifs, donc aux marchés privés. D’une part, l’environnement de taux bas et de relances monétaires quantitatives, qui s’en est suivi, a fortement incité les investisseuses et les investisseurs à prendre plus de risques. D’autre part, la longue convalescence du secteur bancaire a entravé l’accès au financement à beaucoup de sociétés de qualité.
Ne restait ensuite qu’à faciliter l’accueil de nouveaux investisseurs dans cet univers qui combine potentiel de rendement important, vision à long terme et accès à des entreprises innovantes, en croissance ou indispensables à une tendance séculaire. Ainsi, des véhicules de placement clés en main ont été développés et les tickets d’entrée abaissés de plusieurs millions à moins d’une centaine de milliers de dollars. Dans un portefeuille, ces marchés endossent davantage un rôle de contributeur au rendement que de source de diversification. Ces caractéristiques les destinent largement à une clientèle disciplinée, consciente du fonctionnement de ces placements à long terme et de leurs risques.
Deux des haies les plus difficiles à franchir pour les investisseurs privés perdent peu à peu de la hauteur: leur illiquidité et leur accessibilité ardue. Ces actifs sont par nature peu liquides puisque l’investissement porte en général sur la durée d’un projet potentiellement rentable à sa réalisation – souvent la vente de l’entreprise ou son entrée en bourse. On parle souvent d’un horizon d’investissement de plus de dix ans contre trois à cinq ans recommandés pour les marchés publics. Et ceci quel que soit l’environnement économique et financier. En cas de vente prématurée, un marché secondaire du gré à gré existe, mais n’est pas forcément plus liquide et peut être accompagné de décotes et de frais transactionnels pénalisants. La mise en place de nouvelles structures de placement, comme les evergreens, semi-liquides, permet des interventions trimestrielles, voire mensuelles. Caractéristique des marchés privés, l’importance des frais de gestion demeure, mais tend à devenir plus abordable.
Autre atout des marchés privés, ils peuvent se targuer d’une toujours plus grande diversité d’actifs proposés: entreprises bien sûr (private equity), mais aussi immobilier, infrastructures et autres actifs réels, comme les équipements et la gestion des ressources naturelles. Sans oublier le crédit privé, typiquement référé en taux variables, qui a bien résisté aux hausses de taux récentes.
Les marchés privés suivent, enfin, le trend de l’investissement responsable. Les acteurs des marchés privés insistent notamment sur leur plus grande capacité à intervenir directement auprès des organes dirigeants des entreprises pour transformer leurs modèles économiques vers davantage de durabilité. Avec des États globalement limités par leur endettement élevé, le marché privé peut par ailleurs assurer un rôle important dans le financement des infrastructures, notamment celles liées à la transition énergétique induite par le changement climatique. Plus globalement, le fait de viser le long terme, de rechercher des entreprises aux business models pertinents sur la durée, permet à cette classe d’actifs de capter les grandes tendances, comme la démographie, la robotique, etc.
Ces évolutions ne suppriment cependant pas la nécessité, pour les investisseurs et les investisseuses, de faire preuve de discipline dans la sélection des placements. Les procédures de due diligence restent exigeantes et lourdes administrativement. Et comme pour tout placement: attention à assurer une certaine diversification qu’elle soit géographique, sectorielle, en matière de gérants, de stratégies, de durée et de millésimes des projets.
Quant à la question souvent posée de la transparence, les marchés privés se différencient des marchés publics dans le sens où elle s’avère faible pour les non-investisseurs, mais forte pour les investisseurs qui en ont payé le prix et peuvent accéder aux données de l’entreprise.
Le private equity reste la star des marchés privés. Il peut être abordé différemment selon la volonté d’implication de l’investisseur et du degré de responsabilité qu’il est prêt à assumer. Il peut ainsi investir directement ou en co-investisseur dans une entreprise ou un projet, il peut acquérir des parts de fonds ou de fonds de fonds – cette palette d’offres commence par ailleurs à se décliner dans l’infrastructure, la dette et l’immobilier. Les flux de capitaux peuvent concerner une entreprise de sa naissance – start-up – à sa transmission. Ce qui engendre différents types de capital-investissement plus ou moins risqués. Les gérants de private equity ciblent le plus souvent des entreprises matures entrant dans un nouveau projet de vie.
Souvent entourés d’une certaine odeur de soufre dans le public, lorsqu’ils restructurent par exemple une société, les fonds de private equity soignent désormais le récit de leur intervention. Un story telling encore plus indispensable à l’heure où les investisseurs se montrent plus exigeants face à la prise de risque et au rendement en raison de la hausse des taux. Ainsi, les marques sont-elles des clientes intéressantes pour les acteurs de capital investissement. Et s’il fallait un exemple, la récente annonce de l’entrée en bourse de Birkenstock incarne particulièrement bien le message. La sandale longtemps ringarde, incarnation des antisystèmes, qui marche vers le luxe et les marchés financiers. Le private equity a ainsi permis la transition entre l’inventeur de cette société riche d’une histoire pluriséculaire, ses descendants et les exigences du marché actuel, tout en multipliant la valorisation de l’investissement initial.
Autre tendance, conséquence de la récente hausse des taux, la qualité revient au cœur des marchés privés. Après des années d’abondance, le resserrement monétaire engendre un mouvement de consolidation. Consolidation ne dit cependant pas crise, mais plus de sélectivité. La demande globale de capitaux privés reste en effet soutenue et le rôle de ce type de financement demeure essentiel à l’économie réelle.
Article paru dans Indices de L'AGEFI, le 20.10.2023